lundi, août 25

Retrait du permis d’Imouraren, nationalisation de la SOMAÏR, double saisine du CIRDI : la séquence 2024–2025 a transformé un contentieux industriel en test de puissance. Au-delà d’Orano, Niamey cherche à convertir sa rente uranifère en levier d’influence, tout en affrontant le risque d’une exécution forcée sur ses revenus commerciaux à l’étranger.

La relation entre Orano et le Niger, tissée depuis des décennies autour de gisements stratégiques, a basculé quand l’État a d’abord révoqué, en 2024, le permis d’Imouraren, avant d’annoncer en juin 2025 la nationalisation de la SOMAÏR. L’entreprise française a répliqué par deux arbitrages devant le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), dont Orano Mining SAS c. République du Niger (ARB/25/8), après avoir confirmé publiquement, le 21 janvier 2025, une seconde saisine liée à la perte du contrôle opérationnel de la SOMAÏR. Le différend n’est plus seulement minier : il touche le cœur du cycle du combustible nucléaire et, par ricochet, l’équilibre d’approvisionnement d’industries énergétiques européennes.

La succession rapide d’actes unilatéraux — retrait d’Imouraren, mise sous tutelle opérationnelle, nationalisation — s’inscrit dans une doctrine assumée de souveraineté sur les ressources. L’objectif immédiat est clair : reprendre la main sur la gouvernance des actifs, capter une valeur accrue, renégocier les paramètres contractuels. L’objectif implicite l’est tout autant : ériger l’uranium en instrument d’influence, au moment où les tensions énergétiques mondiales rehaussent la valeur stratégique des minerais du Sahel. En d’autres termes, Niamey tente de passer d’une posture de rente à une position de prix et de pouvoir, en acceptant le coût contentieux d’un rééquilibrage.

Le droit comme champ de bataille

Le terrain juridique conditionne la suite. Partie à la Convention CIRDI, la République du Niger offre un forum d’arbitrage neutre dont les sentences s’exécutent largement. En droit international, le retrait d’un titre minier sans indemnisation adéquate et la prise de contrôle d’une société peuvent être qualifiés d’expropriation (directe ou indirecte) et de violation du traitement juste et équitable (TJE), sauf démonstration d’un fondement légal conforme aux standards de nécessité, sécurité, proportionnalité et compensation. L’État soutiendra d’éventuels manquements contractuels ou environnementaux de l’investisseur ; encore faudra-t-il que ces griefs franchissent la barre probatoire.

L’historique nigérien donne la mesure du risque. Menzies/AHS (2013) s’est soldé par une condamnation d’environ 7,6 millions de dollars. Africard (2014) a conduit à l’exécution de la sentence en France et aux États-Unis. Ces précédents installent un fait robuste : une sentence peut « voyager » et viser des actifs à caractère commercial.

Des leviers et des vulnérabilités symétriques

Si Orano l’emporte, la sentence sera exécutoire dans la plupart des juridictions. Les biens souverains protégés — ambassades, équipements militaires, avoirs de banque centrale — resteront hors d’atteinte. Mais les flux commerciaux liés aux hydrocarbures peuvent devenir des cibles : dividendes dus au Niger au titre de sa participation de 40 % dans la raffinerie SORAZ, redevances et taxes versées par la CNPC pour le pétrole et le pipeline Niger–Bénin, créances et comptes liés aux opérations de la SONIDEP. Autant d’actifs qui, à l’étranger, peuvent être repérés, gelés puis appréhendés.

La symétrie des risques est réelle. Niamey affronte une vulnérabilité budgétaire potentielle si des revenus pétroliers sont saisis. Orano, de son côté, supporte un risque opérationnel et de calendrier inhérent à l’arbitrage, sans garantie d’un recouvrement rapide. Les partenaires tiers — raffineurs, traders, opérateurs de pipeline — sont exposés à des injonctions de payer et à la complexité d’ordonnances contradictoires entre juridictions.

Trois voies se dessinent. La première, transactionnelle, combinerait indemnisation et refonte de la gouvernance minière (cadre fiscal, contenu local, normes environnementales), permettant à l’État d’afficher un succès politique sans compromettre l’attractivité du secteur. La deuxième, contentieuse pure, prolongerait l’arbitrage jusqu’à la sentence, au prix d’une incertitude lourde pour les finances publiques et la réputation du climat d’investissement. La troisième, hybride, verrait l’exécution servir d’aiguillon pour accélérer une négociation sous pression judiciaire, typique des dossiers souverains complexes.

Un signal pour l’Afrique de l’uranium

Ce dossier dépasse les frontières du Niger. D’autres producteurs africains observent la capacité d’un État à reconfigurer ses termes d’échange sans s’exposer à une hémorragie d’investissements. La ligne de crête est étroite : assertivité souveraine d’un côté, sécurité juridique de l’autre. Orano–Niger devient, de fait, un cas-test sur la possibilité pour un pays sahélien d’ériger un minerai critique en atout géopolitique sans déclencher une réaction en chaîne de désengagements.

Imouraren et la SOMAÏR cristallisent une inflexion stratégique : Niamey revendique une valeur politique de l’uranium au-delà de son prix de marché. Si la démonstration juridique de l’État convainc et qu’un compromis se dessine, le Niger pourra monétiser sa position tout en stabilisant son cadre d’investissement. À défaut, une condamnation arbitrale, suivie d’exécutions ciblées sur des flux pétroliers extérieurs, grèverait la marge budgétaire d’un pays qui entend justement faire de ses ressources naturelles le moteur de sa souveraineté.

L’issue dira si l’uranium nigérien peut devenir pouvoir autant que matière première — et si un État producteur peut remodeler la hiérarchie des avantages sans briser l’équilibre, délicat mais indispensable, entre ambition politique et État de droit économique.

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