La décision conjointe du Mali, du Burkina Faso et du Niger de se retirer de la Cour pénale internationale (CPI) et d’annoncer la création d’une juridiction régionale baptisée Cour pénale sahélienne des droits de l’homme (CPS-DH) suscite un débat passionné. Présentée par les autorités militaires de l’Alliance des États du Sahel (AES) comme une affirmation de souveraineté, cette démarche est perçue par nombre d’observateurs comme une tentative d’échapper aux mécanismes internationaux de reddition des comptes.
Réunis à Niamey en sommet extraordinaire cette semaine, les ministres de la Justice des trois pays sahéliens ont préparé l’acte de retrait de la CPI, qu’ils avaient pourtant ratifiée dès 1998. Ils entendent substituer à la juridiction internationale une structure régionale censée « juger les crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocides commis dans l’espace sahélien ». Ce projet est présenté comme une réponse à ce que les dirigeants de l’AES dénoncent depuis plusieurs mois : une justice internationale « sélective » et instrumentalisée par les puissances occidentales.
La CPS-DH devrait, selon les premiers éléments disponibles, disposer de compétences élargies et siéger dans l’un des trois pays membres. Aucun calendrier précis n’a toutefois été communiqué sur sa mise en place effective ni sur son mode de fonctionnement.
Les gouvernements militaires du Mali, du Burkina Faso et du Niger affirment vouloir « bâtir une justice au Sahel par et pour les Africains », dans un contexte marqué par la rupture avec plusieurs partenaires internationaux et la volonté de s’émanciper des mécanismes multilatéraux jugés trop contraignants.
Mais cette justification peine à convaincre leurs opposants. De nombreux juristes rappellent que la CPI avait ouvert des enquêtes sur de graves violations des droits humains commises au cours des conflits internes et des opérations militaires de ces dernières années. Pour l’avocat malien interrogé par The Africa Report, la démarche vise avant tout à « soustraire les dirigeants de l’AES à des poursuites qui pourraient les viser directement ».
Des critiques sévères
Mamadou Konaté, ancien ministre malien de la Justice, ne cache pas son inquiétude : « L’AES ne remplace pas la CPI, elle l’enterre : au lieu de juger les crimes, elle protège les criminels et transforme la justice en arme aux mains des putschistes. » Ses propos reflètent la crainte d’une instrumentalisation politique d’une institution régionale qui pourrait servir davantage à légitimer les régimes militaires qu’à défendre les droits des victimes.
Pour de nombreuses ONG, l’annonce marque un recul majeur dans la lutte contre l’impunité au Sahel, où les populations civiles paient un lourd tribut aux violences jihadistes comme aux opérations des forces armées nationales.
Le retrait des trois pays de la CPI, s’il est confirmé, constituera un précédent en Afrique, où seule la Gambie avait tenté un tel désengagement en 2016 avant de revenir sur sa décision. Il pourrait fragiliser encore davantage la coopération judiciaire régionale et internationale, alors même que les groupes armés transnationaux demeurent actifs et que les exactions contre les civils se multiplient.
Reste à savoir si la CPS-DH, une fois instaurée, saura convaincre par son indépendance et son efficacité. Faute de garanties institutionnelles solides, beaucoup redoutent que cette « justice sahélienne » ne soit qu’un instrument de plus au service d’un pouvoir militaire soucieux avant tout de se protéger lui-même.