Le Tchad se retrouve à la croisée des chemins. Situé au carrefour du Sahel et de l’Afrique centrale, le pays nourrit de plus en plus de spéculations sur une éventuelle adhésion à l’Alliance des États du Sahel (AES), créée par le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Une hypothèse qui ne cesse de gagner en crédibilité à mesure que la dynamique régionale se transforme.
Depuis la naissance de l’AES, le paysage politique et sécuritaire sahélien s’est redessiné. L’alliance s’impose comme une structure de coopération militaire, politique et économique, cherchant à consolider la souveraineté de ses membres face aux pressions extérieures et à affirmer une autonomie stratégique vis-à-vis des puissances occidentales. Dans ce contexte, le Tchad, fort de sa position géographique et de son histoire militaire, apparaît comme un partenaire naturel.
Pour autant, N’Djamena avance avec prudence. Le pays maintient des liens étroits avec plusieurs partenaires occidentaux, notamment la France et les États-Unis, engagés à ses côtés dans la lutte contre le terrorisme au Sahel. Cette coopération, bien que stratégique, est régulièrement critiquée par une partie de l’opinion publique tchadienne, qui la juge déséquilibrée et contraire aux intérêts nationaux.
Dans les villes comme dans les campagnes, la jeunesse tchadienne, marquée par le rejet des modèles de dépendance et la soif d’émancipation, se montre de plus en plus favorable à un rapprochement avec l’AES. Les discours valorisant l’autonomie, la souveraineté et la solidarité régionale trouvent un écho croissant dans une société en quête d’un nouveau souffle politique.
Cette effervescence populaire se heurte toutefois à une réalité diplomatique plus nuancée. Rejoindre l’AES signifierait pour le Tchad redéfinir sa place dans une région en recomposition rapide, au risque de fragiliser certains équilibres régionaux et de remettre en question ses alliances traditionnelles.
Pour les observateurs, le débat tchadien traduit deux lignes de fracture. D’un côté, un courant politique et populaire voit dans l’AES une opportunité historique de rupture et de souveraineté retrouvée ; de l’autre, une élite plus prudente préfère préserver les partenariats sécuritaires établis et maintenir une position d’équilibre entre le Sahel et l’Afrique centrale.
L’éventuelle adhésion du Tchad à l’AES aurait des implications profondes. Elle renforcerait le poids géopolitique de l’alliance, lui offrant une ouverture vers le centre du continent et un ancrage stratégique majeur. Mais elle contraindrait également N’Djamena à revoir sa diplomatie de sécurité, notamment vis-à-vis de Paris et de ses partenaires européens.
Au-delà du calcul politique, l’enjeu est existentiel. L’adhésion éventuelle ne serait pas seulement un geste diplomatique, mais le symbole d’une Afrique sahélienne en quête d’autonomie, décidée à repenser ses alliances selon ses priorités propres.
À mesure que les équilibres régionaux se déplacent et que les opinions publiques se radicalisent contre la dépendance extérieure, N’Djamena se trouve à la croisée des chemins. Entre prudence diplomatique et aspiration à la souveraineté, le choix du Tchad pèsera lourd sur l’avenir du Sahel.