lundi, octobre 13

Alors qu’Alassane Ouattara a lancé, samedi 11 octobre, sa campagne pour un quatrième mandat, la capitale ivoirienne a été secouée par des affrontements entre manifestants et forces de l’ordre. Les tensions politiques atteignent un point de rupture, faisant resurgir le spectre des crises postélectorales qui ont marqué le pays.

Le ton de la campagne présidentielle ivoirienne a été donné dans un climat explosif. Tandis qu’Alassane Ouattara tenait son premier grand meeting à Daloa, à l’Ouest du pays, des manifestants tentaient de se rassembler à Abidjan malgré l’interdiction préfectorale. La marche, organisée par les principales forces de l’opposition pour « la démocratie, la justice et la paix », a été brutalement dispersée par les forces de l’ordre.

Devant l’église Saint-Jean de Cocody, point de ralliement prévu, des groupes de militants brandissaient des pancartes dénonçant « la dérive autoritaire » du régime et la « confiscation du pouvoir ». Les policiers ont fait usage de gaz lacrymogènes pour disperser la foule, tandis que des dizaines de personnes étaient interpellées. Certains journalistes présents ont également été agressés, leurs appareils confisqués ou leurs images effacées.

« Alassane Ouattara n’est pas le choix des Ivoiriens. Nous ne sommes pas dans une démocratie », a dénoncé un manifestant sous couvert d’anonymat, reprenant un sentiment largement partagé au sein d’une opposition marginalisée depuis l’invalidation des candidatures de Laurent Gbagbo et Tidjane Thiam par le Conseil constitutionnel.

Une candidature qui ravive les blessures du passé

La décision du président Ouattara de briguer un quatrième mandat constitue l’épicentre des tensions actuelles. Pour beaucoup d’Ivoiriens, cette démarche symbolise une rupture du pacte démocratique scellé après la crise postélectorale de 2010–2011, qui avait coûté la vie à plus de 3 000 personnes.

Le pouvoir justifie cette candidature en arguant d’une « nouvelle Constitution » adoptée en 2016, qui aurait remis le compteur présidentiel à zéro. Mais pour ses opposants, il s’agit d’un contournement flagrant de l’esprit des lois et d’un pas supplémentaire vers la présidentialisation à outrance du régime.

Depuis septembre, la tension ne cesse de monter. L’invalidation de plusieurs candidatures d’opposition a créé un climat de défiance, nourrissant le sentiment d’un scrutin verrouillé d’avance. À Abidjan comme à Bouaké, des appels à la désobéissance civile circulent sur les réseaux sociaux, tandis que des ONG locales alertent sur les risques de dérive autoritaire et de répression politique.

Une opposition fragilisée mais déterminée

Les partis d’opposition, bien que divisés, s’accordent sur un constat : la démocratie ivoirienne recule. Laurent Gbagbo, Tidjane Thiam, Pascal Affi N’Guessan et d’autres figures majeures sont exclus du jeu électoral, tandis que les nouvelles figures, comme Jean-Louis Billon ou Simone Gbagbo, peinent à mobiliser un électorat épuisé par deux décennies de crises.

« Le verrouillage du champ politique et la criminalisation de la contestation conduisent le pays vers une impasse », analyse un politologue abidjanais. La fragmentation du camp anti-Ouattara pourrait paradoxalement servir les intérêts du président sortant, mais au prix d’un climat social de plus en plus délétère.

À Blockauss, dans la commune de Cocody, les affrontements entre manifestants et forces de l’ordre ont illustré cette polarisation extrême. « Il y aura d’autres contestations », prévient un jeune militant. L’appel à la mobilisation, réprimé mais persistant, laisse augurer des jours sombres à mesure que la campagne progresse.

Le spectre d’un nouveau cycle de violences

La Côte d’Ivoire s’avance ainsi vers une élection à haut risque. Si le calendrier officiel prévoit quatorze jours de campagne avant le scrutin, la légitimité du processus est déjà sérieusement entamée. L’absence de figures historiques de l’opposition et la radicalisation du pouvoir en place rappellent les prémices des crises précédentes.

La communauté internationale, encore silencieuse, redoute un scénario d’escalade similaire à celui de 2010. L’Union africaine et la CEDEAO, absorbées par d’autres foyers de tension régionaux, peinent à peser sur la situation.

Derrière les slogans de campagne et les discours d’unité nationale, la fracture politique ivoirienne reste béante. En engageant une course vers un quatrième mandat controversé, Alassane Ouattara semble jouer son avenir politique — mais aussi celui d’un pays dont la paix demeure fragile.

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