Les responsables politiques, diplomates, universitaires, experts et journalistes du monde entier s’accordent à dire que le paysage géopolitique mondial a subi une profonde transformation au cours des dernières décennies. Dans le même temps, la montée du populisme et du nationalisme extrêmes a des répercussions sur l’ordre international tel qu’il a été établi depuis l’après-Seconde Guerre mondiale et surtout depuis la fin de la guerre froide.
Aujourd’hui, ces observateurs ont tendance à accorder de l’importance à la dimension personnelle dans l’échiquier politique et diplomatique. À cet égard, Vladimir Poutine en Russie et Donald Trump aux États-Unis méritent qu’on s’y intéresse. Leur croyance idéologique profonde dans la grandeur et l’importance stratégique de leur pays mérite d’être examinée avec sérieux. Le rejet par la Russie de la domination unipolaire des États-Unis a été exprimé avec conviction par Vladimir Poutine dans son discours à la Conférence de Berlin sur la sécurité, le 7 février 2007. Poutine a avancé des arguments en faveur de l’instauration d’un monde multipolaire. La Chine a exprimé une position similaire au cours des quinze dernières années.
Cet article examine la résurgence de la Russie, l’importance de la doctrine « America First », l’essor de la Chine et la fragmentation de la gouvernance mondiale qui en résulte. Il se conclut par une analyse des défis et des opportunités stratégiques du nouveau paradigme géopolitique. Il vise à examiner les implications des changements à l’échelle mondiale.
L’ordre mondial en question
Alors que de nouvelles tendances remettent en cause la durabilité de la puissance de l’Occident et renforcent même un certain débat sur le déclin de l’Occident (Etats-Unis et Europe), on ne peut s’empêcher d’observer l’émergence d’un nouveau phénomène dans les relations internationales. La scène devient floue en raison de l’émergence d’hommes d’affaires milliardaires à la tête de méga-entreprises, qui remettent en cause la mainmise des gouvernements et des États indépendants sur le pouvoir, la finance et la diplomatie.
Il est communément admis que les politiques libérales menées par les États-Unis et leur engagement international après la Seconde Guerre mondiale et la rivalité bipolaire Est-Ouest pendant la guerre froide ont largement contribué à la chute de l’Union soviétique. Il en est résulté l’émergence d’un monde fragmenté et unipolaire, dirigé par les États-Unis. Cela s’est produit au grand désespoir des pays du Sud, qui percevaient le monde bipolaire comme un équilibre contre la domination d’une seule superpuissance.
De plus, l’hégémonie américaine s’est largement affirmée, notamment depuis la première guerre du Golfe et l’opération américaine « Tempête du désert » pour la libération du Koweït en 1991. L’hégémonie américaine s’est renforcée au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. La coalition internationale dirigée par les États-Unis est née de la nécessité de vaincre le terrorisme d’Al-Qaïda en Afghanistan, la politique de Saddam Hussein en Irak, les troubles sous Mouammar Kadhafi, les guérillas d’Al Shabab, pour n’en citer que quelques-uns.
La résurgence des puissances mondiales
L’accession de Vladimir Poutine à la tête de la Russie incarne la volonté de restaurer l’influence et la présence internationale de la Russie. De son côté, Donald Trump cherche à rétablir la grandeur des États-Unis par la doctrine du « America First ». Les deux dirigeants adoptent des politiques nationalistes, renforcent leurs capacités nationales et remettent en cause l’ordre mondial établi. Ils visent à favoriser des changements dans l’ordre mondial, construit sur le multilatéralisme depuis la Seconde Guerre mondiale.
Cette transformation s’accompagne de la montée des populismes, du déclin du multilatéralisme et de l’émergence de nouveaux pôles de pouvoir. La Chine et la Russie, en particulier, jouent un rôle central dans cette nouvelle configuration. La Chine, forte de ses aspirations au renouveau de la grandeur de l’Empire du Milieu, s’est érigée en puissance de premier plan dans des domaines variés tels que le commerce, les nouvelles technologies, l’espace et la puissance militaire. Elle se positionne aujourd’hui comme un acteur clé de l’économie mondiale.
Pendant la Guerre froide, les États-Unis et l’URSS dirigeaient deux blocs opposés à tous les niveaux (idéologique, géostratégique, économique). Aujourd’hui, les États-Unis et la Russie se retrouvent dans des approches concurrentes, notamment dans la gestion des affaires internationales et la défense de leurs intérêts.
La Russie de Poutine, une puissance renaissante
Depuis son accession au pouvoir, Vladimir Poutine s’est donné pour mission de restaurer le statut de puissance de la Russie, non seulement en Europe, mais aussi dans le monde. Sa stratégie s’est manifestée par des engagements militaires, notamment en Crimée et en Syrie, ainsi que par une politique énergétique stratégique. La Russie utilise ses vastes ressources naturelles pour renforcer son influence, notamment en Europe.
L’intégration eurasienne est un autre axe majeur de la stratégie russe, promue comme une alternative aux alliances occidentales. La Russie a réussi à consolider sa présence géopolitique et à développer des partenariats stratégiques dans des régions clés comme le Moyen-Orient et l’Afrique.
Les BRICS, un modèle de changement
L’un des grands succès de la Russie réside dans le rôle clé qu’elle a joué dans la création et le développement du groupe BRICS, regroupant le Brésil, l’Inde, la Chine, la Russie et l’Afrique du Sud. Ce groupement vise à représenter un bloc d’économies émergentes et à promouvoir un nouvel ordre mondial multipolaire.
La création des BRICS a permis de développer des structures de coopération économique, politique et sécuritaire. La Russie considère ce groupe comme un moyen de renforcer son influence géopolitique. La création de nouvelles institutions multilatérales, comme la Nouvelle banque de développement (NDB), offre des alternatives aux institutions dominées par l’Occident.
Le rôle de la Russie dans les BRICS est motivé par des intérêts géopolitiques et économiques visant à modifier l’équilibre mondial des pouvoirs. L’élargissement des BRICS en 2023 a inclus de nouveaux membres comme l’Éthiopie, l’Égypte, l’Iran, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, confirmant l’importance croissante de cette coalition.
Un monde multipolaire : défis et opportunités
La deuxième présidence Trump accélère la crise du multilatéralisme en promouvant l’unilatéralisme et en sapant les alliances internationales. Cependant, cette dynamique encourage à la fois la résilience des institutions internationales et l’émergence d’autres acteurs sur la scène mondiale. La Chine, la Russie et des puissances régionales comme l’Inde jouent un rôle croissant dans ce nouvel ordre multipolaire.
Ce changement de paradigme géopolitique entraîne une instabilité accrue et une concurrence plus forte entre les puissances. Toutefois, il présente également des opportunités pour les pays capables de s’adapter et de développer des stratégies efficaces pour naviguer dans cet environnement complexe.
Les leçons du passé et du présent sont claires : dans un monde en mutation, l’adaptabilité et la clairvoyance stratégique seront essentielles à la survie et au succès des nations dans un ordre mondial en constante évolution.