Face au retrait progressif du Niger et à la montée des menaces dans le Sahel et le Golfe de Guinée, les États-Unis opèrent un pivot stratégique vers la Côte d’Ivoire. Un accord discret mais structurant, signé avec Abidjan, permet désormais à l’armée américaine d’utiliser la base aérienne de Bouaké pour le déploiement de drones de surveillance. Loin d’être anodin, ce choix consacre la Côte d’Ivoire comme nouveau partenaire sécuritaire de référence dans une région en pleine recomposition.
Les contours de la présence militaire américaine en Afrique sont en train de changer. Alors que le Niger, longtemps pilier de la coopération sécuritaire entre Washington et les États sahéliens, restreint l’accès à ses bases aériennes et exige le retrait définitif des troupes américaines, un nouveau centre de gravité émerge plus au sud : la Côte d’Ivoire.
Selon plusieurs sources diplomatiques et militaires, les États-Unis ont obtenu l’autorisation d’utiliser les infrastructures de la base aérienne de Bouaké, dans le centre du pays, pour y stationner et opérer des drones non armés. Objectif déclaré : renforcer les capacités de renseignement, de surveillance et d’appui aux opérations dans une zone où les dynamiques terroristes se déplacent désormais vers le littoral.
Un repositionnement stratégique assumé
Ce nouveau partenariat s’inscrit dans une double logique : d’une part, il répond au besoin pressant des États côtiers de contenir la progression de groupes jihadistes qui, après avoir déstabilisé le Mali, le Burkina Faso et le Niger, cherchent à s’implanter dans les régions frontalières de la Côte d’Ivoire, du Bénin et du Togo. D’autre part, il reflète une adaptation tactique de la politique américaine de défense en Afrique, contrainte par le désengagement forcé au Sahel central et la montée de la contestation populaire et souverainiste dans les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES).
En choisissant la Côte d’Ivoire, les États-Unis misent sur un partenaire stable, politiquement aligné, et déjà engagé dans une montée en puissance de ses capacités sécuritaires, notamment dans le cadre de l’Initiative d’Accra, qui regroupe plusieurs pays côtiers pour faire face aux menaces transfrontalières.
Ni base permanente, ni rupture de doctrine
L’accord avec Abidjan ne prévoit pas la construction d’une nouvelle base américaine, mais s’appuie sur les infrastructures existantes. Cette approche prudente reflète la volonté de Washington d’éviter les écueils d’une militarisation perçue comme intrusive ou néocoloniale. Il s’agit plutôt d’un partenariat logistique et technologique, centré sur la coopération dans les domaines du renseignement, du partage de données, de la formation des forces locales et du soutien aux opérations conjointes.
Le déploiement de drones américains à Bouaké ouvre néanmoins la voie à une coopération plus étroite. Des sources proches du dossier évoquent déjà des discussions sur l’interopérabilité des systèmes de surveillance, la mise en réseau des centres de commandement et l’assistance à la planification stratégique des opérations antiterroristes dans la zone.
En toile de fond, ce réalignement traduit une recomposition géopolitique profonde du champ sécuritaire ouest-africain. Alors que le Sahel central se ferme progressivement aux acteurs occidentaux au profit de partenaires alternatifs comme la Russie ou la Chine, les États-Unis semblent vouloir reconstruire leur influence en misant sur une ceinture côtière résiliente, économiquement dynamique et stratégiquement positionnée.
La Côte d’Ivoire, qui multiplie les initiatives régionales et investit dans la modernisation de son armée, apparaît comme un choix naturel. En se positionnant comme plateforme logistique et base de projection pour les opérations de sécurité régionales, Abidjan envoie un message clair : elle entend jouer un rôle moteur dans la stabilisation de l’Afrique de l’Ouest.
Vers une nouvelle architecture sécuritaire régionale ?
Le partenariat ivoiro-américain autour des drones pourrait n’être qu’un prélude. À moyen terme, il pourrait s’étendre à d’autres domaines : cybersécurité, renseignement maritime, coopération anti-terroriste dans les zones forestières et désertiques, ou encore appui aux missions de maintien de la paix.
S’il est encore trop tôt pour mesurer la portée exacte de ce déploiement, une chose est certaine : l’Afrique de l’Ouest est en train de redéfinir ses alliances, ses équilibres militaires et ses logiques de coopération. Dans cette recomposition, la Côte d’Ivoire semble avoir fait le choix de la continuité avec les partenaires occidentaux, là où d’autres pays ont opté pour une rupture.
Le ciel de Bouaké, lui, s’apprête à accueillir de nouveaux acteurs silencieux mais décisifs : les drones américains, symboles d’un nouveau chapitre sécuritaire pour la région.