Par Salem AlKetbi (*)
L’hostilité enracinée envers Israël et le rejet répété de la paix – une caractéristique marquante de nombreux régimes arabes auto-proclamés révolutionnaires et progressistes pendant des décennies – étaient-ils vraiment motivés par une conviction inébranlable dans les droits palestiniens et la justesse de leur cause ?
Ou cachaient-ils une stratégie bien plus pragmatique, voire cynique, délibérément utilisée pour consolider l’emprise de ces régimes sur le pouvoir et soutenir leur légitimité chancelante face à des pressions internes et externes incessantes ?
Une lecture lucide de l’histoire arabe moderne, en particulier des décennies post-ottomanes de luttes nationalistes, montre que les vides politiques émergents ont rarement été comblés par des institutions démocratiques reflétant les aspirations populaires.
À la place, des élites militaires et idéologiques ont saisi le pouvoir par une succession de coups d’État. Des régimes se présentant comme révolutionnaires et progressistes, s’inspirant largement des modèles communistes et soutenus par l’URSS durant les batailles idéologiques de la Guerre froide, se sont implantés.
Ces systèmes dominés par les appareils sécuritaires ont fait face à un dilemme existentiel : après avoir renversé les monarchies traditionnelles et les structures de l’ère coloniale, ils manquaient de légitimité intrinsèque.
C’est là que le conflit israélo-arabe s’est révélé un outil inestimable.
Les archives historiques, en particulier les propositions britanniques et internationales sur la Palestine avant et après 1948, montrent que ce conflit n’avait rien d’insurmontable.
Des plans prévoyaient un État palestinien aux côtés d’Israël, avec des garanties internationales et des perspectives de coopération économique et intellectuelle. S’ils s’étaient concrétisés, la région aurait pu emprunter une trajectoire de développement différente.
Pourtant, les dirigeants arabes – et les régimes révolutionnaires qui ont suivi – ont choisi le rejet absolu.
Présentée comme une intransigeance de principe, cette posture est devenue un réflexe, que l’histoire a révélé contre-productif. Elle a privé les Palestiniens d’accords viables à une époque où le rapport de force était moins disproportionné qu’aujourd’hui.
Après 1948, ces régimes ont instrumentalisé la cause palestinienne. Privés de légitimité organique, ils ont transformé l’hostilité envers Israël en mécanisme de survie.
La « menace juive » justifiait un état d’urgence permanent, l’écrasement des dissidents comme « traitrise impérialiste et sioniste », et le détournement du mécontentement populaire vers une « lutte existentielle » totalisante. Leur refus de la paix, bien qu’affiché comme pureté idéologique, servait avant tout l’utilité du conflit : il garantissait leur domination continue.
L’exploitation dépassait la rhétorique. Ces régimes ont encouragé – et souvent fabriqué – des groupes militants palestiniens, moins comme mouvements nationaux authentiques que comme proxies. Ces factions éliminaient des rivaux politiques (indépendants palestiniens ou dissidents arabes) et menaient des attaques à l’étranger pour déstabiliser des monarchies jugées réactionnaires.
Ce patronage ne visait pas la libération, mais le contrôle de l’agenda palestinien et son utilisation dans des jeux de pouvoir régionaux. Les factions de résistance sont devenues, en pratique, des mercenaires servant des régimes indifférents au bien-être des Palestiniens – voire de leurs propres peuples.
Le résultat ? Une cause palestinienne affaiblie par les divisions, diminuée lors des négociations, et réduite à une carte transactionnelle dans la politique régionale.
Pendant ce temps, cet « alibi » masquait habilement les échecs de ces régimes : développement entravé, répression brutale, rivalités interrégionales où la survie justifiait tous les sacrifices.
Il ne s’agissait pas d’une erreur tactique, mais d’une logique structurelle de ces dictatures nées de coups d’État. Le conflit perpétuel leur fournissait une légitimité de substitution, justifiait leurs États policiers et camouflait leurs carences gouvernamentales.
L’héritage ? Une cause palestinienne gravement endommagée – son unité brisée, son influence réduite – et une région privée de stabilité et de coopération, qui en paie le prix encore aujourd’hui.
Ne faut-il donc pas urgemment en tirer les leçons ? Un examen sans concession de la manière dont les pathologies de ces régimes ont déformé le conflit et l’ont enfermé dans sa trajectoire catastrophique ?
(*) Politologue émirati et ancien candidat au Conseil national fédéral