En s’alignant désormais avec les États-Unis, le Niger vient de franchir un seuil stratégique majeur qui rebat les cartes au Sahel. Alors que ses voisins et partenaires de l’Alliance des États du Sahel (AES) — le Mali et le Burkina Faso en tête — renforcent leurs relations avec la Russie, Niamey a choisi une voie diamétralement opposée, ouvrant grand la porte à l’influence américaine. Un choix qui révèle la recomposition accélérée des alliances dans cette région au cœur des enjeux géopolitiques contemporains.
Cette bascule du Niger n’est pas un simple ajustement diplomatique. Elle signe l’échec apparent de l’unité de l’AES, pourtant pensée comme un rempart face aux influences extérieures. Elle laisse aussi craindre un affaiblissement structurel de ce regroupement régional qui ambitionnait de forger un destin commun hors des tutelles historiques. Le virage nigérien, encouragé par une diplomatie américaine de plus en plus pressante, pourrait fissurer durablement les fondements de cette alliance sahélienne.
Washington, conscient de la fenêtre stratégique offerte par la transition politique à Niamey, déploie ses tentacules pour asseoir son influence. La récente intensification des échanges militaires et sécuritaires, la multiplication des visites officielles américaines au Niger et la promesse d’investissements massifs témoignent d’une volonté claire : inscrire durablement le Niger dans la sphère d’influence américaine. Le soutien logistique et financier aux forces nigériennes, en pleine lutte contre l’hydre terroriste, s’inscrit dans cette stratégie d’enrôlement par la dépendance sécuritaire.
Mais au-delà du seul Niger, c’est toute l’Afrique de l’Ouest francophone qui est dans le viseur de Washington. La Côte d’Ivoire, considérée comme le « poumon économique » de la région, est l’objet de toutes les attentions américaines. La doctrine du « commerce, pas l’aide » chère à Washington se conjugue désormais à une approche militaire renforcée, visant à faire de la Côte d’Ivoire un relais de ses intérêts stratégiques. Dans cette dynamique, la France, jadis puissance tutélaire incontestée, se retrouve peu à peu écartée, reléguée au rang de spectatrice dans ses anciennes colonies.
Ce basculement n’est pas sans conséquences pour la stabilité régionale. À l’heure où les alliances se reconfigurent dans un contexte de rivalités exacerbées, l’ancrage du Niger dans le giron américain augure d’une fragmentation accrue des positions africaines. D’un côté, les États du Sahel qui misent sur Moscou pour renforcer leur souveraineté militaire et diplomatique. De l’autre, un Niger et potentiellement une Côte d’Ivoire qui s’ouvrent aux injonctions américaines, au risque d’aggraver les dissensions internes à l’AES.
Pour les analystes, la situation porte en germe un danger plus grand encore : l’exportation sur le continent africain des tensions entre grandes puissances mondiales. En s’immisçant dans les affaires africaines, les États-Unis et la Russie déplacent leur bras de fer sur un terrain où les équilibres locaux sont déjà fragiles. L’alignement de Niamey sur les positions de Washington pourrait ainsi déboucher sur une polarisation géopolitique à l’africaine, éloignant la perspective d’un consensus régional pourtant vital pour la lutte contre le terrorisme et pour la stabilité du Sahel.
Dans ce contexte mouvant, la capacité des pays africains à préserver leur autonomie de décision sera plus que jamais décisive. Car si l’appui étranger peut apparaître comme un gage de sécurité ou de développement, il ne saurait se substituer à la volonté des États de forger, ensemble, une vision endogène de leur avenir. Pour l’instant, le Niger semble avoir choisi son camp — un camp qui, paradoxalement, pourrait bien isoler ses voisins et compromettre les rêves d’unité sahélienne portés par l’AES.