La crise multidimensionnelle au Mali, marquée par l’effondrement de l’État et la scission du pays, a mis en lumière le rôle controversé de l’Algérie dans la stabilité du Sahel. En tant que puissance militaire majeure de la région et autoproclamée leader dans la lutte contre le terrorisme, Alger était attendu comme l’acteur principal d’une réponse internationale à l’instabilité croissante à ses frontières sud. Pourtant, alors que la situation au Mali se détériorait, l’Algérie s’est montrée étonnamment absente du front diplomatique et militaire, laissant place à des interrogations sur sa capacité à jouer pleinement son rôle de puissance régionale.
La crise malienne a commencé en 2011, lorsque des combattants touaregs, lourdement armés après l’effondrement du régime libyen de Kadhafi, ont lancé une insurrection séparatiste. En 2012, un coup d’État militaire à Bamako a plongé le pays dans le chaos, permettant aux rebelles touaregs et à des groupes islamistes, comme Ansar Dine et Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), de prendre le contrôle du nord du pays. Les exactions des groupes jihadistes, la radicalisation de la région et l’arrivée de combattants étrangers ont rapidement suscité des craintes d’un foyer terroriste menaçant la sécurité transnationale.
Face à cette menace, l’Algérie, avec son expérience passée de médiation dans les conflits touaregs, semblait être la mieux placée pour jouer un rôle de stabilisateur. Alger avait déjà orchestré des accords de paix au Mali en 1995 et en 2009 et avait établi en 2010 un centre de coopération militaire régionale (CEMOC) à Tamanrasset. Cependant, au lieu de s’affirmer en tant que leader, l’Algérie s’est engagée dans une stratégie d’ambiguïté, oscillant entre médiation et retrait.
Un retrait stratégique ou un désengagement inquiétant ?
Malgré ses atouts militaires et son influence historique, l’Algérie a semblé dépassée par les événements au Mali. Son principal outil de coopération sécuritaire, le Plan de Tamanrasset, s’est révélé inefficace face à l’urgence de la situation. Les accusations mutuelles entre Alger et Bamako n’ont fait qu’aggraver la méfiance bilatérale : alors que l’Algérie reprochait au Mali sa gestion laxiste des otages et son incapacité à contrer AQMI, Bamako dénonçait l’inaction algérienne face aux incursions jihadistes transfrontalières.
Parallèlement, l’Algérie a condamné le coup d’État malien tout en gardant un silence relatif sur la montée des tensions dans le nord du pays. Cette discrétion a été accentuée par des préoccupations internes : en 2012, les élections législatives algériennes, présentées comme une réponse aux soulèvements du Printemps arabe, et les luttes de pouvoir en vue de la succession présidentielle de 2014 ont monopolisé l’attention des élites politiques.
La réticence algérienne à soutenir les efforts de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) pour déployer une force régionale au Mali a illustré sa méfiance historique envers toute intervention étrangère perçue comme une menace à sa souveraineté. Alger s’est opposée à une telle intervention, craignant qu’elle ne devienne un prétexte pour une présence militaire française prolongée dans la région.
Cette posture a toutefois permis à d’autres acteurs, notamment le Maroc, de renforcer leur influence diplomatique en soutenant les initiatives internationales. Pendant ce temps, l’Algérie a maintenu des contacts avec une variété d’acteurs, y compris des représentants d’Ansar Dine, sans pour autant articuler une stratégie claire.
Une puissance régionale en déclin ?
L’attentisme algérien dans la crise malienne met en lumière les contradictions entre son ambition de jouer un rôle clé dans la région et son incapacité à assumer pleinement cette responsabilité. En quête d’équilibre entre préservation de ses intérêts nationaux, gestion des relations avec ses voisins et rejet de toute influence étrangère, Alger semble prisonnière de ses propres limites institutionnelles et de luttes internes au sein de son appareil politique et militaire.
Loin de consolider son image de puissance régionale, l’Algérie a laissé le champ libre à des initiatives non coordonnées, affaiblissant les réponses régionales à la crise malienne. Ce manque de leadership, couplé à son approche ambiguë, soulève des doutes sur sa capacité à rester un acteur clé dans une région où les défis sécuritaires, humanitaires et politiques ne cessent de croître.