Avec l’agrandissement de la base de Laghouat pour accueillir une escadrille de chasseurs-bombardiers russes Su-34E, l’Algérie franchit un nouveau seuil dans sa stratégie militaire. Derrière l’ambition affichée de modernisation se dessine une posture plus inquiétante : celle d’un État qui, au lieu de miser sur la diplomatie et la coopération régionale, choisit la voie de l’hypermilitarisation. Une logique belliqueuse qui menace l’équilibre fragile du Maghreb et du Sahel.
Alors que le Maghreb connaît un regain de tensions, notamment sur la question du Sahara, et que le Sahel s’enfonce dans une instabilité chronique, le choix d’Alger de renforcer de manière spectaculaire son arsenal aérien interroge. La construction de douze nouveaux hangars sur la base militaire de Laghouat, destinée à accueillir douze chasseurs-bombardiers Su-34E, ne peut être interprétée comme une simple opération de dissuasion. Il s’agit d’un signal de puissance, voire d’intimidation, adressé tant à ses voisins qu’aux puissances occidentales.
Le Su-34, conçu pour des frappes profondes et des missions de destruction de cibles stratégiques, n’est pas un avion de défense, mais un vecteur de projection de force. Son déploiement dans une base intérieure comme Laghouat – hors de toute zone de conflit direct – suggère moins une volonté de protection qu’une préparation à des actions militaires au-delà des frontières nationales.
À l’heure où les relations avec le Maroc sont rompues et où l’Algérie multiplie les gestes de rapprochement avec les régimes militaires d’Afrique de l’Ouest, l’intégration de ce type d’appareil dans l’arsenal algérien pose la question du virage doctrinal opéré à Alger : vers une armée capable de frapper à distance, dans des zones étrangères, sous prétexte de lutte contre le terrorisme ou de défense d’intérêts stratégiques flous.
L’Algérie semble s’enfermer dans une vision militaire du monde, obsédée par la menace, là où les défis régionaux exigeraient avant tout coopération, dialogue et intégration économique.
Le choix de mobiliser des milliards de dollars pour acquérir des chasseurs de quatrième génération dans un pays confronté à une explosion du chômage, à une fuite des cerveaux massive et à une dépendance économique structurelle aux hydrocarbures relève d’un déséquilibre politique préoccupant. La rhétorique de la dissuasion cache mal une fuite en avant militariste destinée à légitimer un pouvoir sans projet civil mobilisateur.
Dans un environnement régional où les lignes de fracture se multiplient – entre États du littoral et du Sahel, entre régimes civils et militaires, entre puissances africaines et tutelles extérieures – l’accumulation de capacités de destruction par un seul acteur régional crée une spirale dangereuse. Non seulement elle pousse d’autres pays à accroître leur propre arsenal, mais elle fragilise les mécanismes de concertation multilatérale et alimente les méfiances mutuelles.
Le déploiement des Su-34E à Laghouat doit être lu pour ce qu’il est : une tentative d’installer un rapport de force permanent dans une région qui peine à construire la moindre architecture collective de sécurité. À défaut de répondre aux attentes de sa jeunesse ou d’engager une réforme de son modèle économique, l’Algérie semble vouloir substituer la puissance de feu à la légitimité politique.
Mais cette stratégie comporte un risque majeur : celui d’accroître l’isolement diplomatique d’Alger, de précipiter une course régionale à l’armement et, in fine, de faire peser une menace directe sur la paix au Maghreb et dans le Sahel.