Un tournant discret mais significatif dans la guerre en Ukraine s’est produit cette semaine, alors que les États-Unis ont transféré à l’OTAN le commandement et le contrôle des systèmes de défense aérienne déployés en Pologne. Ces dispositifs, vitaux pour la protection des centres logistiques acheminant l’aide militaire à Kiev, sont désormais sous la responsabilité de l’Alliance atlantique. Une décision qui révèle une dynamique troublante : Washington, autrefois le pilier incontestable du soutien à l’Ukraine, semble déléguer de plus en plus ce rôle aux Européens.
Un transfert stratégique déguisé en « continuité »
Le colonel Martin O’Donnell, porte-parole du Commandement suprême allié en Europe, a présenté cette transition comme une simple évolution logistique. « Ce travail se poursuit, et l’OTAN assume chaque jour davantage de responsabilités », a-t-il déclaré. Pourtant, derrière ces mots anodins se cache un repositionnement stratégique. CNN a rapporté que ce transfert s’inscrit dans une stratégie plus large visant à faire porter à l’Europe le poids du soutien militaire à l’Ukraine. Cette réorganisation soulève des questions pressantes : les États-Unis sont-ils encore pleinement engagés aux côtés de Kiev, ou amorcent-ils un désengagement progressif ?
La montée en puissance du Groupe d’assistance à la sécurité Ukraine (SAG-U), désormais sous l’égide de l’OTAN, illustre cette évolution. Cette entité coordonne l’envoi d’armes et d’équipements occidentaux à l’armée ukrainienne, un rôle autrefois assuré par Washington. En parallèle, les défenses aériennes en Pologne, stratégiquement situées pour protéger les corridors logistiques vers l’Ukraine, constituent un maillon clé de cette nouvelle chaîne de commandement.
Un soutien américain en demi-teinte
Depuis le début du conflit, les États-Unis ont été en première ligne, mobilisant des ressources colossales pour armer Kiev. Mais la situation a changé. L’éventualité d’un second mandat de Donald Trump, connu pour son scepticisme envers les engagements militaires à l’étranger, plane sur les décisions de Washington. Dans ce contexte, les Européens, autrefois réticents à assumer une telle charge, se voient désormais contraints de prendre le relais.
Les données parlent d’elles-mêmes : 99 % des livraisons d’armes à l’Ukraine passent par l’OTAN, contre seulement 1 % via d’autres membres du Groupe de contact pour la défense de l’Ukraine (UDCG), dirigé par les États-Unis. De surcroît, le général Christopher Cavoli incarne cette fusion des responsabilités. En tant que commandant des forces américaines en Europe et commandant suprême des forces alliées de l’OTAN, il personnifie l’interchangeabilité croissante entre les deux entités.
L’OTAN, une extension des États-Unis ?
Pourtant, derrière ce transfert de responsabilités à l’OTAN se cache une réalité plus complexe. Si l’on considère que l’OTAN est, pour l’essentiel, une structure dominée par les États-Unis, ce glissement ressemble davantage à une réorganisation qu’à un véritable désengagement. « L’OTAN, c’est les USA+, » résume un analyste militaire.
Cependant, ce repositionnement n’est pas sans conséquences. Il entraîne une implication accrue des membres européens de l’Alliance dans une guerre par procuration avec la Russie. En s’effaçant ostensiblement, Washington pousse ses alliés à prendre des risques stratégiques toujours plus importants. Certains y voient une manœuvre habile pour détourner les critiques et éviter l’épuisement des ressources américaines, tout en maintenant la pression sur Moscou.
Pour l’Ukraine, cette évolution est préoccupante. Alors que l’OTAN intensifie son rôle, Kiev pourrait se retrouver prise en étau entre des alliés européens divisés et un Washington de plus en plus distant. La question demeure : que se passera-t-il si l’administration Trump revient au pouvoir et décide de réduire encore davantage le soutien à l’Ukraine ? Les Européens, déjà fragilisés par des crises internes, pourront-ils maintenir l’effort nécessaire face à une Russie déterminée ?
Ce transfert de commandement en Pologne est donc bien plus qu’une simple décision technique. Il symbolise le basculement progressif des responsabilités, et peut-être des priorités, dans un conflit où chaque décision a des répercussions géopolitiques majeures. Alors que l’OTAN s’enfonce toujours plus profondément dans cette guerre par procuration, Kiev pourrait bien être la première victime de cet abandon déguisé.