Alors que le Burkina Faso, le Mali et le Niger officialisent aujourd’hui leur départ de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), un vent d’incertitude souffle sur l’avenir des relations entre ces trois pays sahéliens et l’organisation régionale. Pourtant, contre toute attente, la CEDEAO a choisi de maintenir certains des avantages dont bénéficiaient jusqu’alors ces États, notamment la libre circulation des personnes et le traitement préférentiel pour les biens et services.
Cette annonce, formulée dans un communiqué officiel, marque une volonté d’apaisement après des mois de tensions entre les autorités de transition des trois pays et la CEDEAO. Mais elle soulève aussi des questions : ce maintien partiel des avantages économiques est-il un signe d’ouverture au dialogue ou une reconnaissance implicite des limites des sanctions imposées par l’organisation ?
À la frontière entre le Burkina Faso et le Ghana, les douaniers burkinabés observent avec prudence les mouvements des camions de marchandises et des voyageurs. Oumar Traoré, un commerçant burkinabé spécialisé dans l’exportation de noix de cajou vers le marché ivoirien, pousse un soupir de soulagement en apprenant la décision de la CEDEAO.
« Si la frontière était totalement fermée, cela aurait été une catastrophe pour nous. Nos produits sont destinés à l’espace CEDEAO et l’essentiel de notre business dépend de cette intégration régionale », explique-t-il, soulagé mais méfiant quant aux modalités d’application de cette mesure.
Même sentiment du côté des transporteurs maliens qui assurent la liaison entre Bamako et Abidjan. Depuis l’annonce du retrait des trois pays, l’inquiétude grandissait face à la possibilité d’un durcissement des contrôles. Mais pour l’instant, la circulation reste fluide.
Pour la CEDEAO, la ligne est délicate. D’un côté, l’organisation refuse de donner l’impression qu’elle accepte la rupture voulue par les juntes militaires au pouvoir à Bamako, Ouagadougou et Niamey. De l’autre, elle ne peut pas se permettre d’exacerber les tensions en poussant ces pays vers un isolement total.
Depuis le coup d’État au Niger en juillet 2023, la CEDEAO avait déjà tenté de durcir le ton en imposant des sanctions économiques sévères, qui ont pesé sur les populations locales mais se sont révélées peu efficaces pour faire plier les nouvelles autorités. Dans ce contexte, le maintien des avantages économiques semble être une concession nécessaire pour éviter une rupture brutale aux conséquences économiques désastreuses.
Selon un expert en intégration régionale basé à Abuja, cette approche illustre un changement de stratégie de la CEDEAO :
« Il y a une volonté d’apaisement, mais aussi une reconnaissance implicite du fait que ces pays restent, quoi qu’il arrive, intégrés à l’espace économique ouest-africain. Il est difficile d’effacer en quelques mois des décennies d’échanges commerciaux et de coopération institutionnelle », analyse-t-il.
L’impact pour les entreprises et les citoyens
Dans les grandes villes sahéliennes, l’annonce de la CEDEAO est accueillie avec prudence. À Niamey, Hamidou Issoufou, entrepreneur dans le secteur agroalimentaire, se réjouit de voir que ses exportations vers le Bénin et le Nigeria ne seront pas interrompues.
« Nos matières premières viennent souvent de pays voisins, et nos produits finis sont vendus dans toute la sous-région. Si la CEDEAO nous avait complètement coupés, cela aurait été un désastre », explique-t-il.
À Bamako, en revanche, certains citoyens restent sceptiques. Pour Fatoumata Keïta, étudiante en droit, cette mesure ne change rien au fait que son pays a choisi de tourner le dos à la CEDEAO :
« C’est bien pour l’économie, mais politiquement, nous sommes déjà ailleurs. Nous avons quitté la CEDEAO parce qu’elle nous a abandonnés. Nous devons maintenant penser à construire autre chose, avec l’Alliance des États du Sahel (AES) », estime-t-elle.
Quel avenir pour les relations CEDEAO-Sahel ?
Si la décision de maintenir la libre circulation et les échanges commerciaux semble une solution de compromis, elle ne règle pas pour autant le différend de fond entre la CEDEAO et les trois pays sahéliens.
D’ores et déjà, une structure a été mise en place pour discuter des modalités précises de cette nouvelle relation. La Conférence des chefs d’État et de gouvernement de la CEDEAO devra, dans les mois à venir, clarifier le cadre juridique et économique dans lequel évolueront ces trois pays désormais en dehors du bloc régional.
En attendant, sur le terrain, commerçants, transporteurs et citoyens continuent de naviguer dans l’incertitude, oscillant entre soulagement immédiat et crainte d’un avenir économique plus complexe.
Pour l’instant, le divorce est acté sur le plan politique, mais sur le terrain économique, les liens résistent encore.