L’annonce par le Rwanda, ce lundi 17 mars 2025, de la rupture de ses relations diplomatiques avec la Belgique marque un nouveau tournant dans les tensions régionales liées au conflit en cours dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC). Kigali accuse Bruxelles d’avoir pris position contre lui, notamment à travers les récentes sanctions européennes. La Belgique, pour sa part, qualifie cette décision de « disproportionnée », révélant ainsi une fracture qui va bien au-delà de ce seul épisode.
Cette escalade diplomatique trouve ses racines dans plusieurs éléments historiques, politiques et stratégiques qui alimentent depuis des années les tensions entre les deux pays. Si la question du conflit en RDC en est le déclencheur immédiat, les causes profondes de cette crise sont multiples et méritent une analyse approfondie.
Le Rwanda et la Belgique entretiennent depuis des années des visions radicalement opposées sur la crise sécuritaire qui frappe l’Est de la RDC. Alors que Kigali voit la présence des groupes armés hostiles à son régime, notamment les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), comme une menace directe contre sa sécurité nationale, Bruxelles, à l’instar d’autres capitales occidentales, met surtout l’accent sur l’implication rwandaise dans la déstabilisation de la région.
La Belgique, ancienne puissance coloniale dans la région, a historiquement maintenu des relations étroites avec la RDC et adopte généralement une position alignée sur Kinshasa dans ses différends avec Kigali. Cette proximité diplomatique avec la RDC s’est accentuée ces dernières années, au grand dam du Rwanda, qui estime être injustement ciblé par des accusations occidentales sur son rôle présumé dans le soutien au M23, un mouvement rebelle actif dans l’Est congolais.
L’adoption, lundi 17 mars, par le Conseil de l’Union européenne (UE) de sanctions contre dix personnes jugées responsables de l’instabilité en RDC, dont des figures proches du Rwanda, a servi de catalyseur à la rupture diplomatique. Kigali perçoit ces sanctions comme une mesure partiale favorisant la RDC, tandis que Bruxelles les présente comme une réponse proportionnée aux violations des droits humains et aux tensions régionales.
Le poids de l’héritage colonial et des tensions mémorielles
Les relations entre la Belgique et le Rwanda sont aussi marquées par une histoire coloniale complexe qui continue d’influencer les perceptions mutuelles. Ancienne puissance administrant le Rwanda sous mandat de la Société des Nations, puis des Nations unies, la Belgique a joué un rôle déterminant dans les structures politiques et sociales qui ont façonné le pays avant et après son indépendance en 1962.
Les tensions ont particulièrement explosé après le génocide de 1994 contre les Tutsi. Kigali reproche à Bruxelles d’avoir soutenu les anciens régimes hutus et d’avoir eu une attitude ambiguë vis-à-vis des auteurs du génocide. En retour, la Belgique, qui a perdu plusieurs soldats dans ce contexte dramatique, critique régulièrement la gouvernance autoritaire du président Paul Kagame et son ingérence supposée en RDC.
Cette rivalité mémorielle n’a cessé de se raviver à travers les prises de position de la Belgique sur les droits humains au Rwanda et son soutien aux opposants politiques en exil. En 2020, des tensions avaient déjà éclaté après la décision belge d’accorder l’asile politique à des figures critiques du régime rwandais, ce qui avait provoqué des protestations de Kigali.
Un contexte de tensions entre le Rwanda et l’Occident
La rupture avec la Belgique s’inscrit aussi dans un climat général de détérioration des relations entre le Rwanda et plusieurs pays occidentaux. Ces dernières années, Kigali a renforcé ses liens avec des partenaires alternatifs, notamment la Russie, la Chine et certains pays du Golfe, tout en accusant les puissances européennes de maintenir une posture néocoloniale à son égard.
L’attitude plus affirmée du Rwanda en matière de politique étrangère, notamment son intervention militaire au Mozambique ou en Centrafrique, ainsi que sa politique économique visant à se détacher de l’aide occidentale, ont contribué à cette dynamique. Bruxelles, à l’instar de Paris ou Washington, adopte de plus en plus une posture critique envers Kigali, ce qui explique en partie la détérioration des relations.
La rupture diplomatique avec la Belgique, bien que spectaculaire, s’inscrit donc dans une tendance plus large où le Rwanda se positionne en acteur souverain refusant les pressions des anciennes puissances coloniales et de l’UE.
Les conséquences de cette crise pourraient être significatives sur plusieurs plans. D’abord, la Belgique a annoncé des mesures réciproques, notamment l’expulsion des diplomates rwandais et la remise en question des accords de coopération gouvernementale. Cela risque d’avoir un impact sur plusieurs projets bilatéraux, notamment en matière d’éducation, de développement et de commerce.
Ensuite, cette crise pourrait accélérer le rapprochement du Rwanda avec d’autres partenaires internationaux, notamment en Afrique et en Asie, réduisant davantage l’influence belge dans la région. L’UE, dont la Belgique est un acteur clé, pourrait aussi revoir ses engagements envers Kigali, notamment en matière d’aide au développement et de coopération sécuritaire.
Enfin, cette rupture pose la question plus large du rôle des anciennes puissances coloniales dans les dynamiques politiques africaines. Alors que le Rwanda continue de défendre une ligne souverainiste et pragmatique, la Belgique, comme d’autres États européens, pourrait être amenée à revoir sa stratégie d’influence sur le continent.