Le 24 février dernier, une délégation de haut niveau en provenance de Doha a été reçue par le général Abdourahamane Tiani à Niamey. À sa tête, Mohammed Bin Abdulaziz al-Khulaifi, ministre d’État chargé des Affaires étrangères du Qatar, venu officiellement discuter de coopération bilatérale. Mais au-delà des échanges diplomatiques habituels, l’objectif réel de cette visite semble avoir été de plaider en faveur de la libération de l’ancien président Mohamed Bazoum, renversé par un coup d’État en juillet 2023.
Le Qatar, qui jusqu’ici s’était surtout illustré par ses investissements massifs en Afrique, franchit un nouveau cap en s’immisçant directement dans des affaires politiques et sécuritaires sensibles. Cette initiative illustre une évolution notable : l’émirat ne se limite plus à une influence économique et financière, il tente désormais de peser activement sur les décisions stratégiques des États africains.
Une influence qui dépasse le cadre économique
Longtemps perçu comme un acteur économique opportuniste, investissant dans les infrastructures, les télécommunications ou encore le secteur énergétique, le Qatar adopte une posture plus interventionniste. Ces dernières années, il a su tisser des liens étroits avec plusieurs régimes africains, utilisant son pouvoir financier pour s’imposer comme un partenaire incontournable. Aujourd’hui, Doha ne se contente plus de signer des contrats, mais ambitionne d’orienter certaines décisions politiques majeures sur le continent.
Le cas du Niger est emblématique. En acceptant de discuter directement avec les nouvelles autorités militaires, le Qatar adopte une posture d’intermédiaire, une position qui lui permet d’accroître son influence diplomatique en Afrique de l’Ouest. Si l’émirat est déjà reconnu pour son rôle de médiateur dans plusieurs conflits internationaux, cette démarche s’inscrit dans une volonté plus large d’affirmation politique sur la scène africaine.
La montée en puissance du Qatar dans les affaires africaines pose une question centrale : pourquoi les États africains se montrent-ils si réceptifs à cette influence grandissante ? La réponse réside en grande partie dans la vulnérabilité politique et économique de nombreux pays du continent. Après des décennies de dépendance vis-à-vis des puissances occidentales, qui ont façonné des alliances selon leurs propres intérêts – notamment au sein des instances internationales comme l’ONU – plusieurs États africains semblent désormais ouverts à de nouveaux partenaires extérieurs.
Le Qatar profite ainsi d’un contexte marqué par une remise en question des relations traditionnelles entre l’Afrique et l’Occident. À travers des aides financières, des investissements stratégiques et une diplomatie habile, Doha se positionne comme un allié alternatif. Cependant, cette dépendance émergente pourrait rapidement se transformer en nouvelle forme de tutelle, limitant la souveraineté des États concernés.
Un modèle d’influence discret
Le Qatar a toujours su jouer de sa diplomatie flexible et de son immense richesse pour s’imposer sur la scène internationale. En Afrique, cette stratégie semble particulièrement payante. Contrairement aux grandes puissances occidentales, souvent perçues comme arrogantes ou interventionnistes, Doha avance de manière plus subtile, en multipliant les partenariats « gagnant-gagnant », en soutenant discrètement certaines factions politiques ou en offrant des solutions financières immédiates aux crises locales.
Toutefois, cette approche n’est pas sans conséquences. Si certains gouvernements africains y voient une opportunité, d’autres s’inquiètent du poids grandissant du Qatar sur leurs affaires internes. L’affaire Bazoum en est un parfait exemple : en s’impliquant directement dans ce dossier, Doha envoie un message clair sur sa capacité à peser dans les dynamiques de pouvoir régionales.
Alors que l’Afrique tente de redéfinir ses relations avec le reste du monde, l’influence du Qatar soulève des interrogations fondamentales. Les États africains, en quête de nouveaux partenaires et de financements alternatifs, risquent-ils de troquer une dépendance occidentale contre une nouvelle forme d’influence étrangère ? L’ingérence politique qatarie, bien que plus discrète que celle des anciennes puissances coloniales, pourrait s’avérer tout aussi déterminante dans le futur.
L’épisode nigérien démontre que le Qatar ne se contente plus d’investir dans l’économie africaine, mais cherche désormais à orienter les décisions politiques à travers une diplomatie d’influence sophistiquée. Une dynamique qui mérite d’être suivie de près, tant elle pourrait redéfinir les rapports de force sur le continent.