Le 30 janvier 2025, une page de l’histoire militaire et diplomatique du Tchad s’est définitivement tournée avec la rétrocession de la base d’Adji Kossei à N’Djamena, marquant la fin de la présence militaire française dans le pays. Cette rupture, qui s’inscrit dans le repositionnement stratégique de N’Djamena sur la scène internationale, illustre la volonté du président Mahamat Idriss Déby de revoir les alliances traditionnelles du Tchad et d’explorer de nouveaux partenariats.
Dans ce contexte de redéfinition des équilibres géopolitiques, la Turquie s’impose comme un acteur majeur, avec l’annonce de la construction d’une base militaire à Abéché, à l’emplacement même de l’ancienne installation française.
La fin de la coopération militaire avec la France, longtemps considérée comme un pilier sécuritaire au Sahel, marque un changement de cap assumé par le gouvernement tchadien. Le président Déby a exprimé à plusieurs reprises son souhait de diversifier les partenariats du Tchad, estimant que certains accords passés étaient devenus obsolètes et inadaptés aux nouvelles réalités du pays.
La Turquie, qui renforce progressivement sa présence en Afrique, a saisi cette opportunité pour établir une présence militaire au cœur du Sahel. Selon le média turc Küresel Anlık Çoban Medya HaberAjansi, la base aérienne d’Abéché a déjà ouvert ses portes aux spécialistes militaires turcs. Des images montrant le drapeau turc hissé sur la base ainsi que l’accord signé entre N’Djamena et Ankara le 16 janvier 2025 confirment cette évolution.
Cette coopération n’est pas un phénomène isolé. Depuis plusieurs années, les relations entre la Turquie et le Tchad se sont considérablement intensifiées, notamment sur le plan militaire. En 2024, plusieurs visites officielles de haut niveau ont été échangées entre les deux pays, aboutissant à des accords dans les domaines militaire, économique, politique et culturel.
En parallèle, l’armée tchadienne a déjà participé à des formations dispensées par les forces turques, notamment dans le cadre de l’entraînement à l’utilisation des drones militaires. La Turquie, devenue un acteur incontournable dans la production et l’exportation de drones, compte sur cette collaboration pour renforcer l’aviation militaire tchadienne, dans un contexte où les combats contre les groupes armés dans la région exigent des moyens technologiques avancés.
Une ambition turque grandissante en Afrique
L’annonce de cette base militaire s’inscrit dans la stratégie globale de la Turquie en Afrique, qui cherche à accroître son influence sur le continent à travers des coopérations sécuritaires, économiques et culturelles. Déjà présente militairement en Somalie et en Libye, Ankara étend son empreinte en Afrique de l’Ouest et centrale, profitant du vide laissé par le départ des forces françaises dans plusieurs pays du Sahel.
Le journaliste turc Ibrahim Karagül, ancien rédacteur en chef du journal Yeni Şafak, a commenté cette évolution sur X (ex-Twitter) en déclarant :
“Nous allons construire également une base militaire au Tchad ! C’est nous qui avons chassé la France du Tchad…”
Cette déclaration, bien que provocatrice, illustre l’ascension progressive de la Turquie comme alternative aux puissances occidentales en Afrique.
La base d’Abéché : un centre stratégique pour Ankara
Selon les médias tchadiens, l’ancienne base militaire française d’Abéché sera utilisée par l’armée turque comme plateforme logistique, mais aussi pour des opérations d’entraînement et de formation de l’armée tchadienne. En particulier, l’accent sera mis sur le déploiement et l’utilisation de drones militaires turcs, confirmant ainsi le rôle croissant de ces technologies dans la stratégie sécuritaire du Tchad.
L’installation de cette base pourrait également renforcer la position d’Ankara en Afrique centrale, un espace où la Turquie cherche à étendre son influence face aux puissances occidentales et à d’autres acteurs comme la Russie et la Chine.
Un réalignement géopolitique en cours
Avec le retrait progressif de la France et l’arrivée de nouveaux partenaires comme la Turquie, le Tchad devient un terrain d’expérimentation des nouvelles dynamiques géopolitiques en Afrique. Si Ankara semble aujourd’hui bénéficier d’un appui favorable des autorités tchadiennes, la question reste de savoir si cette nouvelle coopération sera durable et si elle répondra aux attentes sécuritaires et économiques de N’Djamena.
Dans un contexte où les alliances évoluent rapidement, la présence turque au Tchad marque une nouvelle étape dans la recomposition du paysage militaire et diplomatique du Sahel. L’avenir dira si cette coopération saura éviter les écueils du passé ou si, à l’instar de la France, la Turquie devra elle aussi faire face à des résistances et des remises en question à long terme.