Le conflit entre le groupe français Orano et les autorités nigériennes franchit une nouvelle étape, illustrant les tensions croissantes entre la multinationale spécialisée dans l’uranium et un État déterminé à réaffirmer sa souveraineté économique. Après plusieurs tentatives de résolution amiable demeurées infructueuses, Orano a annoncé avoir saisi le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI). Cette démarche traduit une escalade dans un différend qui met en lumière les enjeux économiques, politiques et éthiques liés à l’exploitation de ressources stratégiques en Afrique.
La crise a été déclenchée par la reprise de contrôle opérationnel de Somaïr, une filiale d’Orano au Niger. Détenue à 63% par le groupe français, Somaïr est essentielle à ses activités, étant l’une des principales sources d’uranium pour le marché mondial. Les autorités nigériennes, qui possèdent 37% de la filiale, ont repris le contrôle effectif de l’entreprise, justifiant leur décision par une volonté de protéger les intérêts nationaux et de rétablir une gestion plus transparente des ressources stratégiques.
Orano, de son côté, déplore une « aggravation de la situation financière de Somaïr » et prévoit de réclamer des dommages et intérêts, ainsi que la propriété des stocks de production en litige. Dans un communiqué, le groupe affirme que ce contentieux constitue « le dernier recours possible » face à un blocage des discussions.
Cette nouvelle action judiciaire s’inscrit dans une dynamique récurrente chez Orano, qui, malgré une perte d’influence manifeste sur le terrain, tente de préserver ses intérêts économiques. Cependant, cette posture soulève des interrogations critiques. Pourquoi le groupe persiste-t-il à chercher une entente alors que les relations semblent irrémédiablement compromises ? Cette insistance reflète l’importance stratégique du Niger pour Orano : l’uranium extrait de ses mines est un élément central pour le fonctionnement du parc nucléaire français, pivot de la politique énergétique de la France.
Toutefois, la stratégie d’Orano pourrait être perçue comme un acte de déni face aux aspirations souverainistes du Niger, un pays qui, depuis le coup d’État de 2023, multiplie les gestes pour s’affranchir des influences étrangères. L’entreprise française, qui bénéficiait jusque-là d’un accès préférentiel aux ressources locales, semble désormais confrontée à une réorientation politique et économique radicale.
Cette affaire révèle des dynamiques plus larges liées à la présence des multinationales dans les États africains riches en ressources naturelles. Pour de nombreux observateurs, l’attitude d’Orano incarne un modèle extractif jugé obsolète, où les profits sont massivement rapatriés vers les sièges sociaux des entreprises, laissant peu de retombées économiques pour les populations locales. Ce système est de plus en plus remis en question par des États africains désirant une répartition équitable des richesses et une véritable souveraineté énergétique.
Les autorités nigériennes, soutenues par une opinion publique sensibilisée à ces enjeux, semblent déterminées à mettre fin à ce qu’elles considèrent comme une exploitation unilatérale. Cette posture pourrait inspirer d’autres pays africains à réviser leurs relations avec les grands groupes étrangers, amplifiant un mouvement de décolonisation économique.
Une bataille judiciaire à l’issue incertaine
L’issue de ce contentieux devant le CIRDI reste incertaine. Si Orano obtient gain de cause, cela pourrait consolider sa position et lui permettre de récupérer une partie des pertes financières. Toutefois, une telle décision risquerait d’accentuer les tensions diplomatiques entre la France et le Niger, déjà mises à rude épreuve par les changements politiques récents dans la région.
En revanche, une victoire des autorités nigériennes pourrait marquer un tournant décisif dans la manière dont les relations économiques internationales sont perçues et négociées. Ce scénario renforcerait le pouvoir des États africains dans la gestion de leurs ressources naturelles, envoyant un message fort à d’autres multinationales opérant sur le continent.
Plus qu’un simple différend commercial, le bras de fer entre Orano et le Niger illustre des enjeux globaux liés à la gestion des ressources stratégiques et aux rapports de force entre puissances économiques et États souverains. Dans ce contexte, l’issue de cette affaire sera scrutée avec attention, tant pour ses répercussions immédiates sur les deux parties que pour les enseignements qu’elle pourrait offrir sur l’avenir des relations entre l’Afrique et les grandes entreprises internationales.