Au cœur de l’Afrique de l’Ouest, la région sahélienne demeure une zone géopolitique hautement sensible, exposée à d’intenses pressions sécuritaires et politiques. Entre criminalité transfrontalière, terrorisme, flux migratoires, instabilité politique et financement illicite, les défis sont multiples et exigent une réponse concertée. Dans ce contexte, le Maroc se positionne de plus en plus comme un acteur majeur de la stabilité régionale, tirant parti d’initiatives audacieuses, à l’image de son Initiative atlantique, et de ses partenariats économiques et diplomatiques afin de renforcer la coopération en matière de sécurité.
Le Royaume marocain occupe depuis longtemps une place privilégiée entre le Maghreb et l’Afrique de l’Ouest. Grâce à ses liens historiques et à sa position géographique, Rabat est apparu comme un maillon essentiel pour favoriser la coopération sécuritaire et le développement durable. Lors d’une table ronde organisée en décembre 2024 par le Royal United Services Institute (RUSI) – portant sur « La géopolitique du Sahel : menaces transnationales, sécurité et stabilité » – les participants ont souligné la contribution croissante du Maroc dans le soutien et l’accompagnement des pays sahéliens.
Sur le terrain, les efforts du Maroc se traduisent par l’utilisation de leviers diplomatiques, économiques et sécuritaires pour lutter contre l’extrémisme violent et encourager des partenariats durables. Cette politique d’« interconnexion » vise à renforcer la capacité des États sahéliens à faire face aux menaces transfrontalières, notamment en proposant des projets structurants comme le gazoduc Nigeria-Maroc, conçu pour relier l’Afrique de l’Ouest à l’Afrique du Nord, ou encore via des investissements dans les infrastructures, les télécommunications et les services bancaires.
L’Initiative atlantique : une réponse à l’enclavement des pays sahéliens
Parmi les initiatives les plus marquantes de Rabat figure l’Initiative atlantique, visant à offrir aux pays enclavés du Sahel un accès stratégique à l’océan Atlantique via le vaste réseau portuaire marocain. Cette démarche se veut un corridor alternatif, moins vulnérable que certaines voies de transit instables de la région. En permettant aux États sahéliens de disposer de routes maritimes sécurisées pour leurs échanges commerciaux, le Maroc entend à la fois stimuler leur intégration économique et renforcer la capacité de ces nations à lutter contre le terrorisme, le crime organisé et le trafic illicite. Les autorités marocaines soulignent que ces efforts s’alignent également sur l’intérêt du Royaume-Uni et d’autres partenaires européens, désireux d’établir une zone de stabilité et de prospérité dans cette partie cruciale du continent africain.
La fragilité de la région s’est encore accrue en janvier 2025, lorsque le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont officialisé leur retrait de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Ce départ majeur, motivé par le désir de ces pays de revendiquer une nouvelle vision de la souveraineté et de s’affranchir de certaines contraintes régionales, a abouti à l’expansion de l’Alliance des États du Sahel (AES), jusque-là vouée à la coopération sécuritaire. Cette scission au sein de la CEDEAO soulève d’importantes interrogations quant à l’avenir de l’unité et de la coopération régionale pour endiguer les menaces transnationales.
Malgré les appels de plusieurs chefs d’État ouest-africains, dont le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye et le président togolais Faure Gnassingbé, pour retarder la sortie de six mois, les membres de l’AES ont opté pour un départ immédiat. La CEDEAO, prenant acte de cette décision, a annoncé un « statu quo » provisoire afin de maintenir une certaine stabilité économique et sécuritaire, notamment en préservant la reconnaissance des passeports et documents officiels délivrés par l’organisation, ainsi que les politiques commerciales existantes.
Vers une nouvelle architecture sécuritaire ?
Dans la foulée de leur retrait, le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont annoncé la mise sur pied d’une force militaire unifiée de 5 000 soldats, censée intervenir conjointement dans les zones où l’activité djihadiste est la plus intense. Bien que cette initiative souligne la volonté de ces États de prendre en main leur propre défense, elle n’est pas sans susciter des interrogations quant à sa faisabilité : la coordination logistique et le financement à long terme demeurent des défis majeurs, comme en témoigne l’échec partiel de la Force conjointe du G5 Sahel créée quelques années plus tôt.
Alors que se dessine un retrait progressif de certaines puissances occidentales – la base américaine au Niger a fermé en août 2024, suivie de la base française au Tchad en décembre de la même année –, les acteurs régionaux montent en puissance. L’Algérie, qui partage une longue frontière avec le Mali et entretient des liens historiques avec ce dernier, se retrouve en première ligne pour gérer les tensions à sa frontière sud, en particulier depuis la reprise des hostilités dans le nord malien fin 2023.
De son côté, le Maroc étoffe sa présence économique et diplomatique au Sahel et multiplie les gestes de soutien à l’endroit des gouvernements militaires, mis au ban de la CEDEAO. Parmi ces efforts, on peut relever l’inauguration, en décembre 2024, d’une centrale électrique à Niamey, au Niger, visant à pallier les pénuries d’électricité provoquées par les sanctions régionales et à conforter la souveraineté énergétique du pays.
L’importance de la coopération internationale
Si le reflux de certaines puissances occidentales est manifeste, nombre de programmes d’aide financés par des bailleurs de fonds étrangers persistent dans des domaines aussi variés que la santé, l’éducation ou l’agriculture. Toutefois, la décision du président Donald Trump, en janvier 2025, de suspendre l’aide étrangère américaine a ébranlé la confiance de plusieurs gouvernements sahéliens envers l’aide occidentale. De nombreux observateurs appellent désormais à un renforcement du dialogue et à une meilleure coordination avec les acteurs régionaux, dont le Maroc, afin de garantir la continuité des programmes humanitaires et de développement.
La recrudescence de la violence djihadiste, portée par des groupes affiliés à Al-Qaïda et à l’État islamique, s’étend désormais au-delà du Mali, du Niger et du Burkina Faso, touchant ponctuellement le Bénin, le Togo et parfois le Ghana. Cette expansion témoigne de la fluidité des alliances criminelles et de la fragilité des frontières nationales. Les enlèvements de ressortissants occidentaux début 2025, dans le sud de l’Algérie et la région d’Agadez au Niger, illustrent parfaitement cette collaboration opportuniste entre divers réseaux criminels, djihadistes et trafiquants.
Face à cette menace complexe, le renforcement de la coordination régionale et internationale demeure la clé pour répondre aux causes profondes des conflits : gouvernance défaillante, inégalités socio-économiques et absence d’infrastructures. L’exemple de la « chaîne d’approvisionnement des enlèvements », où diverses factions coopèrent depuis l’identification des victimes jusqu’aux négociations de rançon, rappelle la nécessité d’une approche globale, ciblant à la fois les aspects militaires et socio-économiques.
Dans cette configuration changeante, les efforts du Royaume marocain pour proposer des solutions d’interdépendance – qu’il s’agisse de corridors maritimes, d’investissements dans les infrastructures ou de partenariats dans le secteur énergétique – offrent aux pays du Sahel une bouffée d’oxygène. Outre le potentiel commercial, la démarche marocaine vise à créer des conditions plus favorables à la stabilité politique et à la sécurité de la région. Les autorités de Rabat soulignent que ces projets s’inscrivent dans une vision à long terme, où le développement économique et le partage du renseignement se conjuguent pour contrer efficacement la montée de l’extrémisme violent.