Dans un contexte de tensions croissantes au Moyen-Orient, la Russie accuse les États-Unis de mettre en place des politiques ayant contribué à une instabilité durable dans la région. Sergueï Riabkov, vice-ministre russe des Affaires étrangères, a tenu des propos critiques lors d’une interview accordée à l’agence de presse TASS, affirmant que Washington adopte des « approches déséquilibrées » qui favorisent un désordre géopolitique, en particulier dans le cadre de son alliance avec Israël.
Selon Riabkov, loin d’encourager la stabilité, les politiques américaines au Moyen-Orient auraient aggravé les tensions existantes. « Les États-Unis ont beaucoup fait ces dernières années pour non pas stabiliser la situation, mais au contraire la faire évoluer vers la déstabilisation actuelle », a déclaré le diplomate. Cette affirmation, quoique frappante, n’est pas nouvelle dans la rhétorique diplomatique russe. La Russie a souvent accusé les États-Unis d’interférer dans les affaires des pays du Moyen-Orient, de manière à servir ses propres intérêts, notamment à travers son soutien inconditionnel à Israël.
Pour Moscou, cet alignement sur Israël est au cœur des problèmes de la région. En s’appuyant exclusivement sur son allié stratégique, Washington aurait, selon la Russie, ignoré d’autres acteurs clés, alimentant ainsi des divisions profondes. « Cela pourrait s’expliquer par le fait qu’ils se sont concentrés sur le soutien à leur principal allié, à savoir Israël, dans la région », a déclaré Riabkov. Ce soutien, perçu comme inconditionnel, est selon lui la principale cause de l’instabilité que connaît le Moyen-Orient aujourd’hui.
Les relations entre les États-Unis et Israël sont en effet l’une des alliances les plus solides et les plus durables dans la diplomatie américaine. Depuis des décennies, Washington soutient Israël militairement et politiquement, le qualifiant de rempart contre des acteurs jugés hostiles comme l’Iran, le Hezbollah ou encore le Hamas. Toutefois, cet engagement aveugle envers l’État hébreu est pointé du doigt par Moscou et certains autres pays qui estiment que cela exacerbe les conflits régionaux.
La Russie défend une approche alternative
Contrairement à la politique américaine, la Russie propose ce qu’elle qualifie d’approche « alternative ». Cette approche, d’après Riabkov, serait partagée par « de nombreux pays du monde ». Il n’a cependant pas détaillé les contours précis de cette position. Mais au regard des récentes actions diplomatiques de Moscou, il semble que cette alternative repose sur une volonté de dialogue avec tous les acteurs régionaux, y compris ceux que les États-Unis considèrent comme des parias, tels que l’Iran et le régime syrien de Bachar al-Assad.
Depuis son intervention militaire en Syrie en 2015, la Russie a renforcé sa position dans la région, se positionnant comme un médiateur influent. Elle maintient des relations étroites avec l’Iran, un acteur central dans les crises syrienne et irakienne, tout en tentant de construire des ponts avec des États traditionnellement alignés sur Washington, comme l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. En misant sur cette approche multilatérale, Moscou cherche à se présenter comme un stabilisateur régional, en opposition à ce qu’elle considère comme les politiques de division de Washington.
Une rivalité accrue entre Washington et Moscou dans la région
Cette critique des États-Unis fait écho à une rivalité historique entre Moscou et Washington, qui s’est intensifiée au cours des dernières décennies. Si la guerre froide a marqué l’apogée de cette confrontation, le Moyen-Orient demeure aujourd’hui un terrain de jeu où ces deux puissances s’affrontent indirectement.
Pour les États-Unis, la priorité demeure la sécurité d’Israël et la lutte contre l’influence iranienne, deux piliers de leur politique régionale. Washington considère que l’Iran et ses alliés – notamment le Hezbollah libanais et certaines milices en Irak – constituent une menace pour la stabilité et la sécurité régionales. Les accords d’Abraham, négociés sous l’administration de Donald Trump en 2020, ont marqué une étape clé dans cette stratégie. Ces accords visaient à normaliser les relations entre Israël et plusieurs États arabes (Bahreïn, les Émirats arabes unis, le Maroc et le Soudan), un processus salué par les États-Unis comme un pas vers la paix.
Néanmoins, Moscou voit dans cette approche une marginalisation des autres acteurs régionaux, notamment les Palestiniens et l’Iran. La Russie, tout en maintenant des liens pragmatiques avec Israël, critique souvent le déséquilibre de la politique américaine, soulignant qu’une paix durable au Moyen-Orient ne pourra être atteinte sans inclure toutes les parties prenantes dans les négociations, y compris celles qui sont opposées aux positions israélo-américaines.
Vers un nouvel ordre régional ?
La montée en puissance de la Russie au Moyen-Orient et sa critique des politiques américaines s’inscrivent dans une dynamique plus large de redistribution des cartes géopolitiques. Alors que les États-Unis semblent redéfinir leurs priorités globales – avec un recentrage sur l’Asie et la rivalité croissante avec la Chine – la Russie, elle, cherche à combler ce vide apparent en renforçant ses alliances dans la région.
Les interventions militaires russes en Syrie, couplées à une diplomatie proactive, ont permis à Moscou de réaffirmer son rôle de grande puissance dans le domaine de la sécurité régionale. De plus, la Russie profite de la méfiance croissante de certains alliés traditionnels des États-Unis, notamment la Turquie, qui oscille entre ses engagements avec l’OTAN et sa coopération stratégique avec Moscou.
Dans ce contexte, la question de savoir si la Russie parviendra à instaurer un ordre régional alternatif demeure incertaine. Bien que Moscou ait consolidé son influence en Syrie et renforcé ses liens avec Téhéran, la majorité des États du Golfe continue de privilégier ses relations avec Washington. L’Arabie saoudite et les Émirats, tout en dialoguant avec la Russie, restent des partenaires stratégiques des États-Unis, notamment en matière de défense et d’énergie.
Une rivalité qui façonne l’avenir du Moyen-Orient
Les déclarations de Sergueï Riabkov sur la politique américaine au Moyen-Orient ne sont que l’un des nombreux épisodes d’une rivalité qui continue de façonner l’avenir de la région. Alors que la Russie critique ouvertement l’approche « déséquilibrée » de Washington, elle tente de se positionner comme un acteur de stabilité, misant sur une diplomatie inclusive. Toutefois, malgré ces ambitions, les relations complexes entre les divers acteurs régionaux, ainsi que l’héritage des interventions passées, rendent difficile l’instauration d’un ordre stable et durable.
Dans ce jeu d’influences, il est peu probable que l’une ou l’autre des puissances parvienne à imposer totalement sa vision. Le Moyen-Orient reste une région en mutation, où les alliances et les inimitiés évoluent constamment, et où les interventions extérieures – qu’elles soient américaines ou russes – continuent de nourrir l’incertitude.