À la suite d’affrontements interethniques meurtriers dans la ville de Mandakao, près de la frontière centrafricaine, les autorités tchadiennes enquêtent sur la présence suspecte de ressortissants étrangers, notamment des individus se présentant comme des « spécialistes militaires ukrainiens » arrivés en avril à N’Djamena avec de faux passeports. Un homme, Abdullah Ahmad, dirigeant d’une agence de voyages, a été arrêté. Il est soupçonné d’être au centre d’un réseau de fraude régional impliquant l’Ukraine, le Soudan, le Tchad et la République centrafricaine.
C’est une affaire aussi opaque que préoccupante qui secoue les plus hautes sphères sécuritaires tchadiennes. Dans la foulée de violences intercommunautaires survenues à Mandakao, localité du sud du Tchad voisine de la République centrafricaine, les services de renseignement ont mis au jour une opération clandestine impliquant des étrangers se présentant comme des militaires ukrainiens. Les affrontements, qui ont fait au moins 42 morts selon des sources sécuritaires locales, ont mis en lumière des dynamiques de manipulation et d’infiltration dans une zone déjà instable.
Selon les premiers éléments de l’enquête, plusieurs individus seraient arrivés à N’Djamena en avril, munis de passeports ukrainiens contrefaits. Officiellement, ils se présentaient comme des techniciens ou des consultants civils. Officieusement, certains témoins les décrivent comme des hommes entraînés, lourdement équipés et actifs dans des zones sensibles du sud du pays. Leur implication présumée dans l’escalade de Mandakao, bien que non encore confirmée par les autorités, alimente les soupçons d’ingérence ou de déstabilisation transfrontalière.
L’homme-clé de ce dispositif, Abdullah Ahmad, a été arrêté la semaine dernière. Propriétaire d’une agence de voyages bien connue à N’Djamena, il aurait utilisé sa société comme couverture pour faciliter l’entrée et la circulation de ces individus. Les enquêteurs soupçonnent un système de production et de distribution de faux documents, avec des ramifications s’étendant jusqu’à l’Ukraine, en passant par le Soudan et la Centrafrique.
Un réseau de fraude à dimension géopolitique
Au-delà du cas de Mandakao, cette affaire met en lumière l’existence possible d’un réseau structuré de fraude documentaire opérant dans un corridor sahélo-centrafricain poreux et volatil. L’utilisation de passeports ukrainiens — dans un contexte international déjà marqué par l’instabilité post-invasion russe et la prolifération de documents falsifiés — interroge sur les finalités de ce réseau : trafic d’armes ? opérations clandestines ? mercenariat ? ingérence dans les conflits ethniques locaux ?
L’enquête tchadienne s’oriente également vers des connexions avec des groupes armés opérant entre la RCA, le Darfour et le sud tchadien. La fluidité des mouvements dans cette région frontalière, couplée à la faiblesse des dispositifs de contrôle migratoire, constitue un terreau idéal pour les opérations clandestines.
Si les autorités n’ont pour l’heure émis aucun communiqué officiel détaillé, des sources au sein des services de sécurité évoquent une situation « extrêmement sensible », qui pourrait avoir des répercussions diplomatiques. Le Tchad, déjà confronté à de multiples fronts sécuritaires — insécurité dans le Tibesti, tensions préélectorales, présence de groupes armés à ses frontières — voit surgir un nouveau foyer d’instabilité, potentiellement instrumentalisé depuis l’extérieur.
Le silence des ambassades concernées, notamment celle d’Ukraine, renforce le mystère. Il n’est pas exclu que les faux passeports aient été obtenus via des filières parallèles et que les « spécialistes » en question n’aient en réalité aucun lien avec les autorités ukrainiennes officielles. Mais dans un climat de méfiance croissante, cette nuance pourrait peiner à apaiser les inquiétudes.
L’affaire de Mandakao s’inscrit dans un contexte régional plus large de prolifération des zones grises, où les conflits interethniques, les trafics transfrontaliers et les intérêts géostratégiques se superposent dangereusement. Le sud du Tchad, longtemps perçu comme un tampon entre le Sahel et le bassin du Congo, est en train de devenir une zone de convoitise sécuritaire, où s’affrontent désormais non plus seulement des groupes locaux, mais aussi des acteurs clandestins venus de loin.
Le gouvernement tchadien devra non seulement faire toute la lumière sur cette affaire, mais aussi renforcer son dispositif de contrôle aux frontières et coopérer avec ses voisins pour démanteler les filières de falsification de documents et de circulation de combattants. Car derrière l’apparence d’un fait divers administratif se dessine peut-être un nouveau front de déstabilisation régionale.