La décision prise ce jour par le président mauritanien Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani de fermer un segment clé de la frontière avec l’Algérie dans la région de Lebreika marque une inflexion majeure dans les relations entre Nouakchott et Alger. À l’origine de cette mesure : l’incursion jugée illégale d’éléments armés du Front Polisario sur le territoire mauritanien, en violation manifeste de la souveraineté du pays.

La Mauritanie, longtemps perçue comme une puissance d’équilibre dans la région, sort de sa posture de neutralité prudente. L’ordre donné par le chef de l’État mauritanien de verrouiller la frontière nord-est du pays, dans la zone de Lebreika, envoie un signal fort. Il ne s’agit plus d’un simple rappel à l’ordre diplomatique : c’est une mesure de sécurité concrète, appuyée par les forces armées, et fondée sur des préoccupations croissantes quant à la perméabilité de la frontière avec le sud-ouest algérien, aux abords des camps de Tindouf.

Une ligne rouge franchie par le Front Polisario

Selon des sources sécuritaires à Nouakchott, l’opération qui a précipité la décision d’El Ghazouani aurait impliqué un groupe armé du Front Polisario, entré sur le sol mauritanien sans autorisation, avec pour objectif de mener une attaque ciblée contre une position marocaine dans la zone tampon à proximité. Cette manœuvre, considérée comme une tentative d’instrumentalisation du territoire mauritanien à des fins militaires, constitue une ligne rouge pour les autorités du pays.

Il ne s’agirait pas d’un incident isolé. Depuis plusieurs mois, Nouakchott aurait émis des avertissements répétés à Alger, jugée responsable de facto de l’encadrement et des agissements du Polisario depuis les camps de Tindouf. En vain. La patience semble avoir atteint ses limites, poussant la présidence mauritanienne à rompre avec la tradition de discrétion qui caractérisait jusqu’ici sa politique étrangère vis-à-vis du différend saharien.

Vers une reconfiguration régionale ?

Cette fermeture frontalière, si elle venait à se généraliser, pourrait avoir des implications régionales profondes. L’Algérie, déjà exclue de plusieurs dynamiques économiques et sécuritaires en Afrique de l’Ouest, verrait ainsi se fermer l’un de ses rares accès terrestres vers cette région stratégique. En coupant le corridor sud via la Mauritanie, Nouakchott mettrait Alger en situation d’isolement géopolitique accru, à l’heure où les régimes de transition du Sahel (Niger, Mali, Burkina Faso) s’orientent vers de nouvelles alliances.

Ce geste mauritanien s’inscrit par ailleurs dans une dynamique d’alignement de plus en plus visible avec le Maroc, sans pour autant que cela soit explicitement formulé. Les intérêts économiques, sécuritaires et énergétiques entre Rabat et Nouakchott convergent désormais plus que jamais, notamment autour de la sécurisation des flux commerciaux, du projet de gazoduc atlantique et des ambitions communes dans le domaine de la pêche et de l’agriculture.

Un pari risqué mais assumé

Pour El Ghazouani, ce choix est aussi un pari politique intérieur. À l’approche des échéances électorales, le président mauritanien doit répondre à une opinion publique de plus en plus sensible aux questions de souveraineté, de sécurité nationale et de respect des frontières. En réaffirmant l’inviolabilité du territoire national, il renforce sa stature de chef d’État garant de l’ordre et de l’unité.

Mais ce durcissement comporte aussi des risques : tensions militaires avec le Polisario, crispation avec Alger, et possible instrumentalisation du conflit par des groupes armés opérant dans les zones grises du Sahara. Toutefois, pour Nouakchott, le calcul est clair : la neutralité ne saurait servir de paravent à des incursions non sollicitées qui compromettent la sécurité nationale.

Ce développement pourrait enfin précipiter une relecture des équilibres diplomatiques dans le Maghreb. Entre un Maroc conforté par une reconnaissance internationale croissante de son plan d’autonomie, une Algérie de plus en plus isolée diplomatiquement, et une Mauritanie qui s’émancipe de sa prudence historique, la géopolitique régionale entre dans une nouvelle ère.

La fermeture de Lebreika n’est donc pas qu’un simple geste de souveraineté. Elle cristallise un moment de bascule où la Mauritanie semble sortir de sa réserve stratégique pour s’imposer comme un acteur affirmé, soucieux de protéger son intégrité territoriale tout en redéfinissant ses lignes d’alliance.

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