À Niamey, le président nigérien Abdourahmane Tiani a décoré, ce jeudi, le lieutenant-général Saddam Haftar de la plus haute distinction d’État – l’Ordre national du mérite. Un geste lourd de sens, qui vient consacrer une convergence sécuritaire entre le Niger et la Libye de l’Est, dans un contexte régional marqué par la montée en puissance des régimes militaires et le recul des normes démocratiques.

C’est une cérémonie solennelle mais éminemment politique qui s’est tenue dans la capitale nigérienne. Le chef de l’État, le général Abdourahmane Tiani, a reçu en grande pompe le lieutenant-général Saddam Haftar, fils du maréchal Khalifa Haftar et figure montante de l’appareil militaire libyen basé à Benghazi. À cette occasion, le président du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) lui a remis l’Ordre national du mérite, saluant les efforts déployés par les forces de Haftar dans la lutte contre le terrorisme dans le sud libyen et à la frontière nigérienne.

Mais derrière les formules officielles, cette décoration révèle des dynamiques plus profondes. Elle acte une alliance de fait entre Niamey et l’Est libyen, fondée autant sur des considérations sécuritaires que sur des convergences politiques. Dans un Sahel en pleine reconfiguration géopolitique, les nouvelles autorités militaires du Niger multiplient les signaux de rupture avec l’ancien ordre régional dominé par les puissances occidentales, et resserrent leurs liens avec des acteurs autoritaires prêts à coopérer sans condition politique.

Une coopération sécuritaire aux allures de règlement de comptes

L’hommage rendu à Saddam Haftar intervient dans un contexte particulier. Selon plusieurs sources concordantes, les forces de l’Armée nationale libyenne (ANL) ont récemment capturé puis remis aux autorités nigériennes l’opposant Mahmoud Saleh, proche de l’ex-président Mohamed Bazoum, toujours détenu par le régime militaire depuis le coup d’État de juillet 2023. L’arrestation de Saleh, présentée comme un « acte de coopération antiterroriste », s’apparente en réalité à une opération transfrontalière de neutralisation politique.

Cette extradition tacite, jamais revendiquée officiellement, illustre le glissement progressif d’une coopération militaire vers une collusion sécuritaire ciblant les oppositions internes. En récompensant le fils Haftar, Niamey envoie un message clair à ses détracteurs : l’exil n’est plus un refuge sûr, et les soutiens de l’ancien régime peuvent être poursuivis au-delà des frontières.

Cette nouvelle proximité entre le Niger et l’Est libyen s’inscrit dans une tendance plus large de redéfinition des alliances régionales. Alors que les relations avec la France et les États-Unis se sont brutalement distendues, les régimes de l’Alliance des États du Sahel (AES) se tournent désormais vers des partenaires alternatifs – Russie en tête – mais aussi vers des pouvoirs locaux jugés fiables et efficaces dans la lutte armée, comme celui de Khalifa Haftar.

L’homme fort de Benghazi, longtemps considéré comme un interlocuteur sulfureux par les capitales occidentales, voit ainsi sa stature régionale renforcée. Sa capacité à exercer un contrôle relatif sur les trafics, à contenir les groupes jihadistes dans le sud libyen, et à établir des arrangements pragmatiques avec les régimes voisins, en fait un acteur incontournable de la sécurité sahélienne.

Un rapprochement risqué pour la stabilité régionale ?

Si cette alliance peut, à court terme, renforcer les capacités de lutte contre les groupes armés transnationaux, elle soulève aussi de nombreuses interrogations. En légitimant des pratiques de répression politique sous couvert de coopération antiterroriste, elle risque de fragiliser encore davantage les équilibres internes. Le cas de Mahmoud Saleh pourrait ouvrir la voie à d’autres arrestations d’opposants réfugiés à l’étranger, dans un climat régional où les protections juridiques sont de plus en plus remises en cause.

Par ailleurs, cette dynamique accentue l’isolement du Niger sur la scène internationale. En s’alignant avec des forces libyennes non reconnues par le gouvernement d’union nationale basé à Tripoli, Niamey prend le risque de s’enfermer dans des logiques bilatérales peu pérennes, au détriment d’un retour à un cadre diplomatique consensuel.

Au final, cette séquence diplomatique traduit la nouvelle carte des alliances dans un Sahel post-français, où les solidarités militaires prennent le pas sur les normes démocratiques. L’échange entre Tiani et Saddam Haftar scelle l’avènement d’un axe sécuritaire pragmatique et sans complexe, où la loyauté militaire vaut plus que le suffrage électoral.

Dans cette recomposition régionale, l’image du fils Haftar recevant la plus haute distinction nigérienne résonne comme un symbole : celui d’un ordre sahélien en mutation, où la reconnaissance s’acquiert désormais par les armes, les opérations conjointes, et les alliances de circonstance.

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