Le gouvernement sénégalais vient d’annoncer une série d’initiatives stratégiques pour valoriser localement ses ressources en phosphate, pierre angulaire d’une ambition agro-industrielle renouvelée. Au programme : construction d’une usine de transformation, ouverture d’une université spécialisée, et lancement imminent de la production d’engrais phosphorés alimentée par le gaz naturel de Saint-Louis. Une nouvelle ère s’ouvre pour la souveraineté agricole du pays.
Longtemps exporté à l’état brut, le phosphate sénégalais s’apprête à faire l’objet d’une transformation radicale. Le ministère de l’Industrie et des Mines a confirmé, ce lundi, le lancement dès 2025 de la construction d’une usine de transformation destinée à produire localement des engrais à forte valeur ajoutée. Ce projet marque un virage stratégique pour le Sénégal, qui entend réduire sa dépendance aux engrais importés et s’imposer comme un acteur régional de référence dans la chaîne de valeur agroalimentaire.
En parallèle de cette infrastructure industrielle, l’État prévoit la création d’une université spécialisée dans l’exploitation des engrais, les sciences agronomiques et les technologies agroalimentaires. L’objectif est clair : former les ingénieurs, techniciens et chercheurs capables de piloter la future filière nationale, tout en favorisant la recherche appliquée dans des domaines clés comme la fertilisation des sols, la sécurité alimentaire ou l’efficacité environnementale des engrais.
Cette université, qui pourrait voir le jour dans le nord du pays, jouera également un rôle stratégique dans la montée en compétences des filières agricoles locales et dans l’accompagnement des petites exploitations. Elle deviendra un levier de souveraineté intellectuelle et technologique dans un domaine jusqu’ici largement dominé par les savoir-faire étrangers.
L’atout gazier de Saint-Louis pour une production décarbonée
Autre pilier de cette stratégie : le lancement imminent de la production d’engrais phosphorés à base de gaz naturel, dans la région de Saint-Louis. Alimentée par les gisements récemment mis en exploitation au large de la côte sénégalaise (notamment via le projet Grand Tortue Ahmeyim), cette production vise à tirer parti de la disponibilité croissante d’un gaz compétitif et moins polluant, pour verdir la chaîne de production des engrais tout en réduisant les coûts logistiques.
Ce couplage phosphate-gaz constitue un avantage comparatif rare sur le continent, et pourrait positionner le Sénégal comme hub de transformation durable au service de l’agriculture africaine. À l’heure où la flambée des prix des engrais frappe durement les économies agricoles du continent, cette initiative pourrait également renforcer l’intégration régionale par l’exportation d’engrais abordables vers les pays voisins du Sahel et de la CEDEAO.
Une réponse industrielle à la crise alimentaire mondiale
Ces projets s’inscrivent dans un contexte global de tensions sur les chaînes d’approvisionnement agricoles, exacerbé par les conflits, les changements climatiques et la volatilité des marchés énergétiques. En investissant dans la transformation locale de ses matières premières, le Sénégal cherche non seulement à sécuriser son autonomie agricole, mais aussi à s’inscrire comme un acteur responsable dans la réponse aux défis alimentaires africains.
Le phosphate, jusqu’ici peu valorisé dans la politique industrielle sénégalaise, redevient un actif stratégique. En l’intégrant à une vision plus large d’industrialisation verte et de montée en gamme technologique, Dakar mise sur un modèle de développement endogène, où l’agriculture, l’énergie et l’innovation scientifique forment un triptyque de souveraineté.
Vers un repositionnement régional ?
Si ces projets se concrétisent dans les délais annoncés, le Sénégal pourrait d’ici 2030 concurrencer les grands acteurs africains du secteur – à commencer par le Maroc et sa puissante OCP. L’enjeu ne sera pas tant la quantité que la capacité à structurer un écosystème intégré, de l’extraction à la formation, en passant par l’innovation, la production et l’exportation.
Le phosphate n’est plus seulement une ressource minière : il devient un levier de puissance agricole, industrielle et diplomatique. Et pour le Sénégal, l’année 2025 pourrait bien marquer le début d’un tournant stratégique décisif.