mardi, octobre 14

La montée en puissance des groupes armés sahéliens dans l’usage des drones et leur convergence avec les réseaux criminels latino-américains, notamment mexicains, ouvre un nouveau front sécuritaire mondial. Pour les États-Unis, l’instabilité au Sahel ne constitue plus une crise périphérique : elle affecte directement leur sécurité, leur prospérité et leur influence internationale.

En moins de deux ans, le Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM), affilié à Al-Qaïda, est passé de simples expérimentations artisanales à une intégration opérationnelle du drone sur le champ de bataille. Surveillance, reconnaissance, frappes kamikazes ou ciblées : l’arsenal se diversifie, s’étendant du Mali au Burkina Faso et jusqu’au Togo. Le Front de libération de l’Azawad (FLA), mouvement séparatiste, suit la même trajectoire.

Cette montée en puissance illustre une dynamique inquiétante : l’innovation technologique, souvent testée dans d’autres conflits comme en Ukraine, migre désormais vers le Sahel avec une rapidité inédite. Le risque de transfert vers d’autres foyers, notamment aux portes des États-Unis par l’entremise des cartels mexicains, se fait chaque jour plus tangible.

Depuis plus d’une décennie, les réseaux djihadistes et les cartels latino-américains entretiennent des relations de proximité dans le trafic de cocaïne à travers l’Afrique de l’Ouest. Les ports du Golfe de Guinée – Ghana, Côte d’Ivoire, Cap-Vert, Guinée-Bissau, Sénégal, Bénin, Togo, Nigeria – sont devenus des points de passage privilégiés vers l’Europe.

Aujourd’hui, ces flux coïncident avec les zones d’influence des groupes armés sahéliens. Si les preuves de coopération directe restent limitées, la densité des trafics suggère une coexistence organisée, facilitée par la corruption locale. Le parallèle avec l’usage des drones est saisissant : cartels et insurgés partagent des espaces, des savoir-faire et, potentiellement, des tactiques.

L’argument central du rapport signé par Rida Lyammouri et Niccola Milnes est limpide : ce qui s’expérimente à des milliers de kilomètres du territoire américain peut rapidement se retrouver aux frontières du Texas ou de l’Arizona. Entre 2022 et 2023, plus de 490 attaques de drones ont déjà été recensées au Mexique, principalement entre cartels rivaux. Certaines utilisaient des drones commerciaux DJI modifiés pour larguer grenades et engins explosifs.

La perspective de voir ces groupes s’inspirer des techniques sahéliennes, plus avancées, inquiète les agences fédérales. Le raid contre une base malienne de drones TB2, en septembre 2025, a montré qu’un simple drone FPV à bas coût pouvait déjouer les défenses d’une installation militaire de plusieurs centaines de millions de dollars.

Le Sahel, hub global des trafics

Le Sahel ne constitue pas seulement un champ de bataille technologique. C’est aussi un hub financier et logistique. Un réseau de financement d’État islamique, démantelé en 2025, illustrait la fonction de la région comme relais de fonds destinés à l’Irak et à l’Europe.

Cette fonction de carrefour s’étend aux drogues de synthèse : après la cocaïne, les cartels explorent la méthamphétamine et d’autres produits. Le démantèlement d’un « super-laboratoire » lié au cartel de Sinaloa en Afrique australe confirme l’évolution vers une production à grande échelle sur le continent.

Les firmes américaines déjà présentes en Afrique de l’Ouest – dans l’énergie, les télécoms ou la logistique – voient leur exposition croître. Les corridors côtiers du Bénin et du Togo, essentiels pour l’acheminement de ressources, pourraient devenir vulnérables à des frappes ou des infiltrations.

Cette instabilité a un coût : hausse des primes d’assurance, détérioration de l’image de marque, perte de parts de marché. Pendant que les entreprises américaines hésitent, la Chine et la Russie consolident leurs positions par des contrats miniers et énergétiques. La compétition géoéconomique s’en trouve accentuée.

Mais l’enjeu reste politique : comment prioriser cette menace externe alors que la frontière sud des États-Unis reste un sujet explosif en interne ?

Le constat final est inquiétant. En une décennie, les passerelles entre cartels et groupes armés sahéliens ont évolué du simple transit de cocaïne à la diffusion de technologies militaires. Le drone, arme du pauvre, est devenu le symbole de cette guerre asymétrique globalisée.

Pour les États-Unis, l’équation est claire : ignorer le Sahel, c’est accepter que les innovations tactiques et criminelles testées dans le désert africain se retrouvent tôt ou tard dans les rues de Ciudad Juárez, puis peut-être au-delà.

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