Portée par le Burkina Faso, le Mali et le Niger, l’Alliance des États du Sahel (AES) s’impose comme la traduction politique d’une rupture : celle d’une Afrique décidée à s’affranchir des tutelles extérieures pour redéfinir ses alliances et sa gouvernance régionale.
La création de l’AES, officialisée en 2023, marque un tournant dans l’histoire politique récente du continent. À la faveur des bouleversements sécuritaires et institutionnels, les trois pays sahéliens ont choisi d’unir leurs trajectoires sous la bannière d’une souveraineté retrouvée. Longtemps perçus comme des maillons faibles du dispositif sécuritaire occidental en Afrique, ils entendent désormais affirmer une autonomie stratégique fondée sur la solidarité régionale et la réciprocité des intérêts.
L’alliance est née d’un constat partagé : les dispositifs internationaux, du G5 Sahel aux missions onusiennes, ont échoué à endiguer l’expansion du terrorisme et à stabiliser les institutions. Les coups d’État successifs intervenus à Bamako, Ouagadougou et Niamey ont bouleversé les équilibres, mais aussi révélé une aspiration populaire à la maîtrise du destin national.
En coordonnant leurs politiques de défense, de sécurité et de développement, les trois capitales veulent dépasser la logique d’assistanat et proposer un modèle endogène de gestion des crises. « Notre destin ne peut plus être décidé à Paris ou à Washington », affirmait en août dernier le capitaine Ibrahim Traoré, chef de l’État burkinabé, lors du premier sommet de l’AES à Niamey.
Cette approche traduit un repositionnement stratégique plus large : celui d’États cherchant à réduire leur dépendance vis-à-vis des partenaires extérieurs tout en renforçant la coopération régionale. En prônant la mutualisation des moyens militaires, la gestion concertée des ressources et une gouvernance plus inclusive, l’AES se veut un instrument d’émancipation collective, au-delà de la simple alliance défensive.
Sur le plan politique, la démarche dépasse le champ institutionnel. Elle s’inscrit dans un mouvement idéologique plus profond, qui remet en cause les paradigmes hérités de la période postcoloniale. L’AES se veut l’incarnation d’une souveraineté assumée, mais aussi d’une réponse à l’inefficacité des modèles importés.
La rhétorique anti-impérialiste portée par Bamako, Ouagadougou et Niamey trouve un écho dans les discours publics et les mobilisations citoyennes. Pour nombre de jeunes Sahéliens, l’alliance symbolise une dignité retrouvée, un refus des ingérences et un appel à des politiques plus proches des réalités locales.
Cette redéfinition des alliances s’accompagne d’une ambition sociale explicite : replacer les priorités du développement — éducation, agriculture, infrastructures, sécurité de proximité — au cœur de l’action publique. Ce glissement de la souveraineté politique vers la souveraineté économique et sociale confère à l’AES une portée inédite.
Un instrument d’unité politique et de légitimité populaire
La double dynamique, institutionnelle et sociale, confère à l’AES une légitimité singulière. Les mobilisations populaires en faveur de l’alliance, largement relayées sur les réseaux sociaux et dans les capitales africaines, traduisent un désir d’appropriation citoyenne d’un projet continental.
Au-delà des frontières du Sahel, l’initiative inspire d’autres mouvements politiques sensibles aux notions d’autodétermination et de solidarité Sud-Sud. Les débats qu’elle suscite dépassent la région et questionnent l’avenir du multilatéralisme africain, longtemps dominé par les structures traditionnelles jugées éloignées des réalités locales.
La trajectoire de l’AES reste fragile. Si la coopération militaire s’est consolidée, les défis économiques et institutionnels demeurent considérables. La création d’un secrétariat permanent, chargé de coordonner les politiques publiques, témoigne toutefois d’une volonté de pérenniser le cadre.
L’alliance cherche désormais à élargir son influence au-delà du champ sécuritaire, en explorant des partenariats économiques et énergétiques avec d’autres États africains et des acteurs non occidentaux, notamment la Russie, la Chine et la Turquie. Cette diversification reflète une stratégie pragmatique : réduire la dépendance financière tout en préservant une marge d’autonomie décisionnelle.
L’AES apparaît ainsi moins comme une structure figée que comme un laboratoire politique en devenir. Elle traduit une mutation des rapports entre les peuples et leurs institutions, dans un contexte mondial où la souveraineté redevient un enjeu central.
Entre consolidation régionale et quête d’efficacité, son avenir dépendra de sa capacité à produire des résultats tangibles pour les populations et à inscrire son projet dans une perspective panafricaine crédible.