lundi, août 25

L’Algérie se trouve confrontée à une rivalité inédite au sommet de son État. Le président Abdelmadjid Tebboune, dont l’autorité reste tributaire de l’appareil militaire, est aujourd’hui engagé dans un bras de fer silencieux mais déterminant avec le chef d’état-major de l’Armée nationale populaire (ANP), le général Saïd Chengriha. Cette lutte de pouvoir, dont les conséquences se font sentir bien au-delà des cercles dirigeants, expose la fragilité d’un régime où la présidence demeure largement dépendante de l’institution militaire.

Dans ce duel, le général Mohamed Kaidi, pressenti comme successeur potentiel de Chengriha et réputé pour ses positions plus ouvertes à l’égard des partenaires occidentaux, a été neutralisé par une mise en résidence surveillée. Sa marginalisation illustre la volonté de l’actuel chef d’état-major de verrouiller le système, en écartant toute alternative stratégique.

Depuis sa nomination en 2019, à la faveur du départ du général Ahmed Gaïd Salah, Saïd Chengriha s’emploie à réaffirmer la prééminence de l’armée dans l’architecture du pouvoir algérien. L’ANP reste la colonne vertébrale du régime, mais son chef actuel a radicalisé une logique déjà bien ancrée : l’élimination systématique de toute voix divergente.

Les purges internes se sont multipliées au sein de l’institution militaire. Des généraux influents ont été limogés ou poursuivis pour « corruption » ou « abus de pouvoir », des accusations rarement étayées mais politiquement efficaces. Cette stratégie vise moins à assainir l’appareil qu’à neutraliser tout potentiel rival, à l’image du général Kaidi dont l’approche plus conciliante avec les partenaires occidentaux, en particulier la France et les États-Unis, suscitait l’hostilité de Chengriha.

Cette fermeture stratégique contraste avec les besoins réels du pays. Face à l’instabilité croissante au Sahel, à la pression migratoire et à la compétition énergétique en Méditerranée, nombre d’analystes estiment que l’Algérie aurait intérêt à renforcer ses coopérations régionales. Mais Chengriha privilégie une ligne de confrontation et de méfiance, héritée de la doctrine sécuritaire des années 1990.

Une présidence affaiblie et des institutions paralysées

Le président Tebboune, élu en 2019 dans un contexte de contestation populaire (Hirak), a toujours dû composer avec l’armée. Son ambition affichée de renforcer la légitimité civile du pouvoir s’est rapidement heurtée à la résistance de l’état-major. Pour tenter de contrebalancer cette tutelle, il s’était rapproché du général Kaidi, misant sur son profil modernisateur. Mais cette manœuvre a été perçue par Chengriha comme une tentative de contournement, entraînant une réaction brutale : Kaidi a été mis à l’écart et la présidence affaiblie.

Aujourd’hui, l’exécutif souffre de cette dyarchie. Plusieurs ministres confient, sous couvert d’anonymat, recevoir des instructions contradictoires : d’un côté, la présidence, soucieuse de projeter une image réformatrice ; de l’autre, l’état-major, jaloux de ses prérogatives et obsédé par la préservation de ses réseaux. Cette double commande engendre un climat de confusion et accentue la paralysie décisionnelle, notamment dans les dossiers économiques et diplomatiques.

À cette crise institutionnelle s’ajoute un autre facteur de déstabilisation. Plusieurs chancelleries occidentales affirment disposer d’indications sur l’implication de segments de l’armée algérienne dans des circuits parallèles, incluant la contrebande transsaharienne et, plus inquiétant, des formes de collusion indirecte avec des groupes armés au Sahel.

Ces soupçons, difficiles à documenter publiquement, nourrissent l’image d’un appareil sécuritaire fragmenté, où les rivalités internes se doublent de logiques économiques opaques. Ils rappellent les ambiguïtés de l’armée algérienne dans les années 1990, lorsque des segments de l’appareil sécuritaire avaient été accusés d’avoir instrumentalisé des groupes armés islamistes dans la guerre civile.

Dans ce contexte, l’Algérie se distingue par la coexistence fragile d’un président civil affaibli et d’un état-major tout-puissant mais divisé. Cette dualité la rend particulièrement vulnérable, alors même que son rôle régional est central pour la sécurité du Maghreb et du Sahel.

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