Trois ans après le départ français du Mali et le retrait de la MINUSMA, le Burkina Faso, le Niger et le Mali peinent à contenir la menace djihadiste, tandis que leurs relations avec les organisations régionales et les partenaires extérieurs redessinent un paysage incertain.
La promesse formulée par les juntes militaires du Sahel — souveraineté retrouvée, reconquête du territoire et sécurité assurée après le départ des forces françaises — reste difficile à concrétiser. Trois ans après la fin de l’opération Barkhane au Mali (15 août 2022) et près de deux ans après la dissolution de la MINUSMA (31 décembre 2023), la région demeure l’une des plus instables du monde. Les chiffres, loin des proclamations politiques, décrivent une réalité contrastée où les menaces persistent et où les populations civiles paient le prix le plus lourd.
Selon l’ONU et ses agences humanitaires, le nombre de personnes déplacées internes (PDI) continue de croître : plus de 2 millions au Burkina Faso, environ 400 000 au Mali, et plus de 500 000 au Niger en 2025. Au total, l’espace du Sahel central compte près de 6 millions de déplacés, auxquels s’ajoutent des besoins financiers évalués à 4,3 milliards de dollars pour l’année 2025. Or, à la mi-année, moins de 15 % de ce montant avait été mobilisé, laissant des millions de personnes dans une précarité extrême.
Sur le plan militaire, la tendance reste inquiétante. En 2024, OCHA avait relevé une baisse de 11 % des incidents sécuritaires au Mali, au Burkina Faso et dans l’ouest du Niger. Mais ce recul statistique a rapidement cédé la place à une recrudescence des attaques au premier semestre 2025. Le groupe JNIM, affilié à Al-Qaida, a revendiqué plusieurs assauts meurtriers : en mai et juin, plus de 400 soldats maliens ont été tués, dont plus d’une centaine à Boulkessi. Estimé entre 6 000 et 7 000 combattants, le mouvement s’est doté de drones et de moyens antiaériens, consolidant son emprise dans les zones frontalières.
Mali : l’après-MINUSMA sous tension
À Bamako, les autorités militaires peinent à stabiliser la situation malgré l’appui de contingents russes. La multiplication d’incidents d’accès humanitaire — 76 en juin 2025 contre 37 un an plus tôt — souligne la complexité de l’environnement sécuritaire. Parallèlement, les arrestations d’officiers supérieurs de la Garde nationale et la détention d’anciens responsables politiques traduisent une volonté de verrouiller le champ politique, au risque d’exacerber les divisions internes.
Le pays demeure le principal foyer de la crise humanitaire. Si plus d’un million de personnes déplacées ont pu regagner leur localité d’origine fin 2024, les violences persistent dans le nord et l’est. Les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), créés en 2020 et désormais intégrés dans la stratégie sécuritaire du capitaine Ibrahim Traoré, font l’objet de critiques pour leur formation sommaire et les exactions dont ils sont accusés. Les pertes militaires, diffusées sur les réseaux sociaux, alimentent un sentiment de vulnérabilité face aux groupes armés.
Depuis le coup d’État de juillet 2023, Niamey a mis fin à sa coopération militaire avec la France et suspendu ses accords avec les États-Unis, tout en cherchant de nouveaux partenaires. Si la croissance économique a rebondi en 2024 grâce aux exportations d’hydrocarbures (+8,4 %), la situation sécuritaire reste préoccupante dans la région de Tillabéri et le long de la frontière avec le Nigeria. Le pays compte plus d’un demi-million de déplacés internes, reflet de la persistance de la menace djihadiste malgré la réorientation diplomatique.
En mars 2024, les chefs d’état-major des trois pays de l’AES annonçaient la création d’une force conjointe, transformée en « force unifiée » début 2025, censée aligner environ 5 000 militaires. Mais peu d’informations ont filtré sur son financement et son mode de commandement. En parallèle, la décision de se retirer de la CEDEAO, dont la période transitoire court jusqu’à juillet 2025, traduit l’isolement croissant de ces États vis-à-vis de leurs voisins. L’Union africaine, pour sa part, adopte une posture prudente, rappelant l’importance des transitions mais sans réussir à imposer de mécanismes contraignants.
Le jeu des puissances extérieures
La Russie a consolidé sa présence militaire, héritée des réseaux Wagner, désormais intégrés aux structures officielles. La Chine privilégie une approche économique, investissant dans les infrastructures et consolidant sa présence diplomatique. La Turquie s’est positionnée comme fournisseur de drones et d’équipements, tandis que les États-Unis et l’Union européenne limitent leur engagement sécuritaire direct, se concentrant sur le soutien humanitaire et l’appui aux États côtiers.
Cette recomposition nourrit une compétition d’influence où chaque acteur cherche à tirer profit du vide laissé par les Occidentaux. Elle illustre aussi la difficulté des États de l’AES à bâtir une stratégie endogène de sécurité, centrée sur la coordination régionale et l’adhésion des populations.
La menace déborde désormais au-delà du triangle AES. Les attaques enregistrées au Bénin et au Togo confirment la progression des groupes armés vers le littoral. Pour les pays côtiers, qui coopèrent étroitement avec la CEDEAO et les partenaires européens, cette évolution représente un défi majeur.
Chiffres clés de la crise sécuritaire et humanitaire (2025)
Personnes déplacées internes (PDI) : Burkina Faso > 2 millions, Niger > 500 000, Mali ≈ 400 000.
Financement humanitaire 2025 : 4,3 milliards \$ requis pour le Sahel central, < 15 % mobilisés à mi-année.
Pertes militaires récentes : > 400 soldats maliens tués mai-juin 2025 (dont > 100 à Boulkessi).
Force unifiée AES : ≈ 5 000 hommes annoncés début 2025, peu d’informations sur le déploiement effectif.
Une équation toujours ouverte
La stabilité du Sahel repose désormais sur une série de variables encore incertaines : l’efficacité opérationnelle de la future force AES, la capacité des juntes à regagner la confiance des populations, et la possibilité d’un dialogue avec les organisations régionales. L’absence de consensus sur le calendrier de transition politique et le manque de financements humanitaires laissent planer un doute sur la capacité de l’AES à inverser durablement la tendance.
Pour les observateurs, la région illustre un paradoxe : jamais le discours sur la souveraineté n’a été aussi fort, et jamais la dépendance aux partenaires extérieurs n’a été aussi marquée. Un équilibre fragile dont les prochaines années diront s’il s’inscrit dans une stabilisation progressive ou dans un cycle prolongé de crise.