vendredi, novembre 22

Face à un monde protéiforme, un monde granulaire, la Chine et la Russie opèrent un rapprochement regroupant plusieurs segments stratégiques notamment l’économie, le transfert technologique militaire, l’énergie, le politique… Ce rapprochement historique se veut comme une réponse face à l’expansion de l’OTAN, qui est perçu par ces 2 puissances comme un risque systémique qui menace leurs intérêts souverains.

Malgré les déséquilibres économiques entre la 2ème (CHINE) et 11ème (RUSSIE) économie mondiale. L’économie russe, qui repose avant tout sur les exportations d’hydrocarbures, étant moins avancée que l’économie chinoise, qui est aujourd’hui une puissance manufacturière et technologique. En effet, avant le début de la guerre en Ukraine, l’économie chinoise est environ 10 fois supérieure à celle de la Russie : selon les données de la Banque mondiale, le PIB de la Russie s’élevait à près de 1 779 milliards de dollars en 2021, alors que celui de la Chine se situait à près de 17 734 milliards de dollars. Quant au PIB par habitant, il se situe dans les mêmes ordres de grandeur pour les 2 pays, avec 12 195 dollars pour la Russie et 12 556 dollars pour la Chine.

Par ailleurs, l’économie russe reste actuellement dépendante des monnaies des pays dits « non-amicaux », et en premier plan lieu du dollar. Mais le processus de réduction de sa dépendance au dollar est une entreprise de longue durée, qui a commencé en 2014 et s’est poursuivie en 2018, lorsque la Russie a commencé à vendre ses obligations du Trésor américain et à envisager de commercer en roubles et en yuans, parmi d’autres devises.

En 2014, la Russie s’est tournée vers la Chine en signant des accords énergétiques significatifs avec elle. Ce rapprochement fut perçu de provisoire. Or, plusieurs évènements sont survenus depuis lors, avec la crise à la Crimée en 2014, mais aussi depuis la guerre avec l’Ukraine en février 2022. La Chine et la Russie avaient proclamé leur « amitié sans limite » en marge de l’ouverture des Jeux olympiques d’hiver de Pékin. Depuis, la Chine n’a pas condamné la Russie et a réaffirmé que Moscou était son « partenaire stratégique le plus important ». Aujourd’hui encore, sa diplomatie refuse de parler de « guerre en Ukraine », préférant parler de « crise » ou reprenant directement l’expression russe d’« opération militaire spéciale ».

Au-delà des aspects économiques ou énergétiques, la coopération bilatérale entre la Russie et la Chine s’impose comme une nécessité pour assurer la sécurité à long terme, elle-même considérée par les pouvoirs politiques en place comme indispensable à leur maintien. In fine, c’est une consolidation de la « sécurité politique ».

En mars 2023, lors de la visite de Xi Jinping en Russie, le président chinois a souligné les convergences de vues géostratégiques entre Pékin et Moscou, face à ce qu’ils considèrent être la menace occidentale. Les 2 pays ont alors condamné la mise en place de l’AUKUS (l’accord de coopération militaire entre les Etats-Unis, l’Australie et la Grande-Bretagne), de stratégies « indo-pacifiques » et la présence grandissante de l’OTAN en Asie. La diplomatie chinoise considère à présent que la « stratégie indo-pacifique menée par les Etats-Unis » est une façon d’établir « une version Asie-Pacifique de l’OTAN », qui sera « vouée à l’échec ».

Par ailleurs, la Russie et la Chine « réaffirment leur soutien mutuel sans faille pour la protection de leurs intérêts fondamentaux, leur souveraineté nationale et leur intégrité territoriale, et s’opposent à l’ingérence de forces extérieures dans leurs affaires internes.

Mis à part, le renforcement de la coopération économique, énergétique, monétaire, technologique, la Chine et la Russie ont prévu de renforcer leur « coordination » diplomatique et militaire dans les prochaines années, aux niveaux bilatéral et multilatéral (au sein de l’Organisation des Nations Unies, de l’Organisation de coopération de Shanghai, des BRICS, du G20, entre autres).

Sur le plan militaire, le transfert de technologies militaires russes reste d’importance stratégique pour la Chine. En 2015, Pékin et Moscou ont signé 2 contrats majeurs portant sur la vente de systèmes antiaériens S-400 et de 24 chasseurs multi-rôles Su-35. Un hélicoptère lourd développé conjointement (sur la base du concept Mi-26 russe) devrait être prêt en 2032, d’après les déclarations d’un cadre de l’Aviation IndustryCorporation of China (AVIC) – production qui se heurte toutefois à des difficultés. Depuis 2019, les 2 pays développent également un système d’alerte avancé contre les attaques par missiles, la Russie semble prête à aider significativement la Chine dans ce domaine.

Sur le plan économique, en mai 2022, la Russie est devenue le premier fournisseur de pétrole de la Chine, passant devant l’Arabie Saoudite. Les importations chinoises de pétrole russe ont augmenté de 55% sur 1 an (mai 2021-mai 2022), selon les chiffres publiés par les douanes chinoises en juin 2022.

En septembre 2022, en marge du sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai à Samarcande, le ministre russe de l’Energie a annoncé la construction d’un nouveau gazoduc entre la Russie et la Chine (« Force de Sibérie 2 »), qui devrait débuter en 2024 et s’achever en 2030. Avec ses 50 milliards de mètres cubes par an, il permettrait à Moscou de rediriger ses livraisons de gaz vers l’est, s’ajoutant aux capacités de « Force de Sibérie I » (2019), qui pourrait lui-même augmenter ses livraisons jusqu’à 20 milliards de mètres cubes chaque année.

L’initiative globale de sécurité (Global Security Initiative), dont le « concept paper » publié en février 2023 mentionne l’Afrique à 14 reprises, mais jamais l’Europe. Si la Chine et la Russie parlent de « multipolarité », le nouvel ordre mondial qu’elles défendent serait bien différent du monde multipolaire occidentale. Il s’agirait d’un monde où la Chine et la Russie, soutenues par une coalition de pays, occuperaient une place centrale, et au sein duquel l’Occident serait marginalisé, en tant que puissance militaire mais aussi en tant que groupement de pays démocratiques. In fine, un monde où seraient majoritaires les « pays aux vues similaires » à la Chine. C’est dans cette optique que la Chine a milité avec succès lors du 15ème sommet du groupe qui s’est tenu en août 2023 à Johannesburg, pour un élargissement du groupe des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) à 6 nouveaux pays (Iran, Argentine, Egypte, Arabie Saoudite, Emirats arabes unis, Ethiopie).  

Avec une volonté de désoccidentaliser le monde, la Chine et la Russie travaillent de concert afin de rallier le Sud Global à leurs causes. Récemment, avec le Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC) à Beijing, le président chinois Xi Jinping a promis jeudi 5 septembre 2024, d’allouer plus de 50 milliards de dollars sur 3 ans aux pays africains, dont une cinquantaine de dirigeants sont à Pékin pour un sommet. Cette somme, équivalente à environ 45 milliards d’euros, vise à renforcer la coopération, en particulier dans les infrastructures et le commerce, entre la Chine, la deuxième économie mondiale, et l’Afrique. Par ailleurs, Pékin fournira 141 millions de dollars en subventions dans le domaine militaire et assurera « des formations à 6.000 militaires et 1.000 policiers et autres agents des forces de l’ordre en Afrique ». Cela ne fait qu’affermir la volonté de la Chine de renforcer ses liens avec les pays africains représentant du Sud Global.

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