vendredi, décembre 12

Une chute sans surprise, tant l’édifice politique construit autour d’Umaro Sissoco Embalo reposait sur une illusion entretenue par ses parrains extérieurs.** La déflagration institutionnelle qui secoue aujourd’hui la Guinée-Bissau ne relève ni du hasard ni d’un soudain accès de colère militaire. Elle sanctionne un système fondé sur la personnalisation du pouvoir, l’instrumentalisation des forces armées et une dépendance assumée vis-à-vis d’alliances internationales qui lui ont longtemps tenu lieu de bouclier politique.

Le pays bascule une nouvelle fois dans un cycle de convulsions, théâtre d’un coup d’État dont les premières victimes sont autant les institutions que la crédibilité même d’un président qui se rêvait homme fort alors qu’il n’était, au fond, qu’un relais docile d’intérêts étrangers.

La prise de contrôle par les militaires quelques heures avant l’annonce des résultats des élections du 23 novembre dévoile la mécanique classique d’un régime en fin de course. L’État était déjà réduit à un décor : institutions verrouillées, opposition marginalisée, administration paralysée, médias sous pression. Que l’armée surgisse alors en s’arrogeant la mission de « restaurer l’ordre » n’a rien d’un accident politique mais l’aboutissement logique d’une présidence qui avait fait de la confusion institutionnelle sa méthode de survie.

La désertion quasi immédiate d’Umaro Sissoco Embalo, exfiltré vers Dakar, montre à quel point le chef de l’État savait que son pouvoir tenait davantage à ses appuis extérieurs qu’à une légitimité interne désormais introuvable. Ce départ précipité, loin d’être un signe de courage, illustre le vide politique qu’il laisse derrière lui.

Les putschistes invoquent une menace sécuritaire, un « plan de déstabilisation » impliquant des réseaux criminels. Dans n’importe quel autre contexte, ces accusations auraient pu paraître crédibles. En Guinée-Bissau, elles sonnent comme un refrain usé, régulièrement mobilisé pour justifier les ruptures institutionnelles.

Ce qui trouble ici n’est pas tant l’irruption de l’armée que les zones d’ombre entourant la chute d’Embalo. Durant les premières heures du putsch, le président déposé restait joignable, parlait à des médias internationaux, décrivait calmement sa situation. Cette posture inhabituelle nourrit l’idée d’une opération ambiguë, susceptible de servir les intérêts mêmes de celui qui prétend en être la victime. Suspendre un processus électoral dont les signaux non officiels annonçaient sa défaite lui offre un répit et – potentiellement – une nouvelle porte d’entrée pour reconfigurer le jeu politique.

Dans cette séquence trouble, une évidence se dégage : Embalo tentait d’éviter le verdict des urnes en transformant la crise en opportunité personnelle. La transition imposée par les militaires pourrait, paradoxalement, lui offrir le temps nécessaire pour se repositionner.

L’éternelle tentation d’un pouvoir sous perfusion occidentale

Depuis son accession au pouvoir, Umaro Sissoco Embalo s’est affiché en allié indéfectible de plusieurs capitales occidentales. Cette proximité, présentée comme un atout diplomatique, a progressivement muté en dépendance politique. À l’intérieur du pays, elle nourrissait le sentiment d’un président davantage préoccupé par son image extérieure que par la consolidation d’institutions fragiles. À l’extérieur, elle faisait de lui un instrument commode, incarnation d’une stabilité de façade dans un espace stratégique exposé aux rivalités régionales.

Cette orientation, qui lui a longtemps servi de bouclier, a fini par l’isolé politiquement. Les acteurs locaux, marginalisés ou humiliés, ont trouvé dans l’instabilité électorale un espace d’expression. L’armée, elle, a simplement joué un rôle que l’histoire bissau-guinéenne lui confie depuis cinq décennies : arbitre brutal d’un système incapable d’assurer sa propre succession démocratique.

L’interruption des résultats avant leur proclamation a renforcé les soupçons de manipulation. Fernando Dias, donné vainqueur selon des résultats non publiés mais largement évoqués, voit son ascension stoppée par un coup de force dont il accuse directement Embalo d’être l’architecte. Les accusations de « coup d’État organisé » amplifient l’idée que le régime déchu a voulu saboter une alternance qu’il savait inéluctable.

Le fait que le PAIGC, parti historique, ait été exclu du scrutin pour des raisons administratives alimente également la thèse d’un dispositif électoral pensé pour verrouiller l’accès au pouvoir. En voulant contrôler l’ensemble du processus, Embalo a précipité sa propre chute.

Un pays prisonnier d’un cycle qui se répète

La Guinée-Bissau n’en finit pas de rejouer le même scénario depuis son indépendance. Coups d’État, transitions provisoires, institutions vacillantes : chaque crise prétend inaugurer un nouvel ordre, et chaque transition reconduit les mêmes fragilités. La nouveauté, cette fois, réside dans la mise à nu d’un président dont la proximité avec certaines puissances extérieures n’a pas suffi à masquer l’effritement interne de son pouvoir.

La chute d’Embalo n’est pas seulement celle d’un dirigeant. Elle marque l’effondrement d’une stratégie politique fondée sur la loyauté affichée envers des partenaires extérieurs au détriment d’une légitimité domestique. Ce modèle, présenté comme une garantie de stabilité, se révèle aujourd’hui pour ce qu’il était réellement : une construction artificielle, incapable de résister au moindre souffle populaire.

Avec Horta N’Tam à la tête du pays pour un an, la Guinée-Bissau entre dans une nouvelle zone grise. L’armée promet une restauration de l’ordre et du fonctionnement institutionnel. Mais le pays n’a jamais manqué de promesses : ce sont les résultats qui ont fait défaut.

Les prochains mois révéleront si cette transition marque la fin d’une illusion ou un nouvel épisode d’un cycle politique devenu routinier, où les mêmes acteurs, sous des uniformes différents, rejouent inlassablement la même pièce.

Le crépuscule d’Umaro Sissoco Embalo semble scellé. Reste à savoir si la Guinée-Bissau, enfermée depuis un demi-siècle dans un labyrinthe d’ingérences, de coups de force et de régimes sous tutelle, saura un jour en sortir.

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