mardi, octobre 14

L’intégration de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis, de l’Iran, de l’Égypte et de l’Éthiopie aux côtés du noyau historique Brésil–Russie–Inde–Chine–Afrique du Sud transforme les BRICS en un bloc élargi, désormais capable de peser sur les équilibres énergétiques, financiers et diplomatiques mondiaux. Cette expansion redéfinit les rapports de force internationaux et accentue la contestation de l’ordre libéral dominé par l’Occident.

L’annonce, en 2024, de l’intégration de nouveaux membres au sein des BRICS a marqué un tournant majeur dans la trajectoire du groupe. Jusqu’alors composé de cinq pays hétérogènes, ce forum de coopération économique et politique, créé en 2009, souffrait de limites évidentes : faible cohésion interne, divergences d’intérêts, poids économique inégal.

Avec l’adhésion de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis, de l’Iran, de l’Égypte et de l’Éthiopie, le bloc gagne une dimension géoéconomique et géopolitique nouvelle. En réunissant des puissances énergétiques, des États contrôlant des points de passage stratégiques (canal de Suez, mer Rouge) et des marchés émergents à fort potentiel démographique, les BRICS élargis représentent désormais près de 35 % du PIB mondial et environ 45 % de la population de la planète.

La première conséquence de cette expansion réside dans le secteur énergétique. En accueillant l’Arabie saoudite, premier exportateur de pétrole, ainsi que l’Iran et les Émirats arabes unis, le groupe concentre une part décisive des réserves mondiales d’hydrocarbures.

Cette configuration offre aux BRICS une capacité inédite de coordonner leurs politiques énergétiques au-delà du cadre traditionnel de l’OPEP+, dominé jusque-là par la relation Moscou–Riyad. Si les BRICS ne se transforment pas en cartel énergétique, ils disposent d’un outil d’influence majeur sur les prix du pétrole et du gaz, avec des répercussions directes sur l’économie mondiale.

Parallèlement, la Chine et l’Inde, grands importateurs d’énergie, voient dans cette expansion une opportunité de sécuriser leurs approvisionnements en négociant hors du cadre dollar-dépendant, une stratégie qui alimente le projet de dédollarisation du commerce énergétique.

Une contestation accrue de l’hégémonie occidentale

L’entrée de nouveaux membres s’accompagne d’un discours plus affirmé en faveur d’un monde multipolaire. Le groupe élargi se présente comme un contrepoids à l’architecture économique et financière héritée de Bretton Woods, dominée par Washington et ses alliés européens.

La Nouvelle Banque de Développement (NBD), créée en 2014, gagne en visibilité. Son mandat de financement d’infrastructures dans les pays du Sud pourrait s’élargir grâce aux contributions financières des pétromonarchies du Golfe. L’objectif est clair : offrir une alternative crédible au FMI et à la Banque mondiale, perçus comme des instruments de conditionnalité politique.

Dans ce contexte, l’Occident voit émerger une plateforme concurrente capable de structurer des alliances économiques et diplomatiques hors de son contrôle, fragilisant son pouvoir de coercition à travers sanctions et pressions financières.

Si l’expansion confère aux BRICS une puissance statistique impressionnante, elle ne gomme pas les divergences structurelles. Le groupe demeure une coalition de circonstances plus qu’une organisation intégrée.

Rivalités régionales : l’Inde et la Chine continuent de s’affronter sur des différends frontaliers. L’Iran et l’Arabie saoudite, malgré leur réconciliation diplomatique de 2023, restent porteurs de visions antagonistes au Moyen-Orient.

Modèles économiques contrastés : la Chine, puissance manufacturière, n’a pas les mêmes priorités que les pays exportateurs d’hydrocarbures.

Systèmes politiques divergents : le groupe agrège démocraties, régimes autoritaires et monarchies absolues, ce qui rend difficile toute convergence institutionnelle.

Ces fractures constituent une limite à la cohérence stratégique des BRICS, mais n’annulent pas leur utilité comme forum de contestation de l’ordre international.

L’Afrique au cœur de la stratégie d’expansion

L’entrée de l’Égypte et de l’Éthiopie consacre la volonté des BRICS de s’implanter solidement en Afrique. Le continent, riche en ressources naturelles et en corridors logistiques stratégiques, devient un champ de compétition directe avec l’Union européenne et les États-Unis.

L’Égypte, par le canal de Suez, offre au bloc un accès décisif à l’une des principales routes maritimes mondiales. L’Éthiopie, deuxième pays le plus peuplé d’Afrique, incarne le potentiel démographique et économique du continent.

Cette stratégie d’ancrage africain confère aux BRICS une légitimité accrue auprès du Sud global, en faisant du continent non plus un simple terrain d’influence, mais un acteur intégré dans la redéfinition de la gouvernance mondiale.

L’adhésion conjointe de Riyad, Abou Dhabi et Téhéran transforme le Moyen-Orient en nouvelle colonne vertébrale du projet BRICS. Cette configuration modifie les équilibres traditionnels :

Les monarchies du Golfe trouvent un espace diplomatique qui complète leur alliance sécuritaire avec Washington, sans la remettre frontalement en cause.

L’Iran, longtemps isolé par les sanctions occidentales, se dote d’un levier pour contourner ses contraintes financières et renforcer ses alliances asiatiques.

La Russie voit dans cette expansion une confirmation de son influence énergétique malgré son isolement post-Ukraine.

Le Moyen-Orient devient ainsi un espace de recomposition des alliances, où les BRICS s’érigent en acteur incontournable.

Les implications pour l’Europe et les États-Unis

Pour Washington et Bruxelles, l’expansion des BRICS sonne comme une alerte. L’Occident se retrouve face à un bloc capable de rallier des partenaires clés dans des domaines cruciaux : énergie, infrastructures, commerce maritime.

Pour l’Europe, la concurrence se joue en Afrique, où les BRICS s’imposent comme financeurs d’infrastructures face au Global Gateway de l’UE.

Pour les États-Unis, l’enjeu est monétaire : la multiplication des échanges énergétiques hors dollar menace la centralité du billet vert dans le système financier international.

En somme, l’expansion des BRICS accélère la tendance à la fragmentation de l’ordre mondial, posant aux puissances occidentales la question d’une réforme urgente des institutions internationales pour ne pas perdre davantage de légitimité.

L’élargissement des BRICS ne signifie pas la fin de l’hégémonie occidentale, mais marque une redistribution progressive des cartes. Le groupe fonctionne comme une coalition hétérogène, certes traversée de tensions, mais unie par une volonté commune : élargir l’espace d’autonomie des pays du Sud face aux injonctions du Nord.

Cette dynamique traduit le passage d’un monde unipolaire dominé par Washington à un système multipolaire, où les coalitions de circonstance remplacent les blocs idéologiques de la guerre froide. L’expansion de 2024–2025 en est l’illustration la plus concrète : les BRICS, loin d’être un contre-G7 homogène, deviennent une plateforme ouverte, capable de réorganiser les rapports de force dans un monde en recomposition rapide.

 

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