lundi, août 25

L’approche chinoise en Afrique, fondée sur une diplomatie dite « agnostique », consiste à investir dans les pays indépendamment de la légitimité ou de la nature de leurs gouvernements. Ce principe de non-ingérence, érigé en doctrine par Pékin, apparaît aujourd’hui porteur de contradictions et de risques croissants, tant pour la stabilité régionale que pour la pérennité de ses projets économiques. Le cas du Niger illustre avec acuité les limites d’une stratégie qui privilégie la solidité apparente du pouvoir plutôt que le respect de l’État de droit.

L’expulsion, en mars 2025, de trois cadres chinois de la China National Petroleum Corporation (CNPC) a marqué un nouveau revers dans les relations entre Pékin et la junte militaire du général Abdourahamane Tchiani, arrivée au pouvoir en juillet 2023. Quelques semaines plus tard, le régime ordonnait à la raffinerie Soraz et à CNPC de suspendre les permis de travail d’employés étrangers en poste depuis plus de quatre ans. Ces décisions unilatérales témoignent d’un climat de défiance inédit, dans un pays où la Chine a investi plus de 5 milliards de dollars dans le développement du champ pétrolier d’Agadem et la construction de l’oléoduc de 2 000 kilomètres reliant la région de Diffa au port béninois de Sèmè.

La stratégie de « nationalisme des ressources » prônée par la junte, combinant populisme économique et rhétorique anti-occidentale, fragilise ces investissements. Elle a également accentué les risques sécuritaires : les attaques contre les forces armées nigériennes se sont multipliées, tandis que le Front patriotique de libération (FPL) a revendiqué plusieurs assauts contre l’oléoduc, provoquant une marée noire et un arrêt des opérations.

Pékin, soutien d’un régime contesté

En dépit d’une première réaction appelant au retour rapide à l’ordre constitutionnel, la Chine s’est progressivement imposée comme principal partenaire international de la junte. Elle lui a même accordé un prêt d’urgence de 400 millions de dollars, court-circuitant les sanctions de la CEDEAO et de l’Union africaine. Mais ce choix stratégique coûte désormais cher : défauts de paiement sur la dette (519 millions de dollars en 2025), tensions persistantes avec le Bénin qui bloque périodiquement les exportations de brut, et image écornée d’un pays soutenant un régime répressif et impopulaire.

L’approche transactionnelle chinoise ne se limite pas au Niger. Au Burkina Faso, Pékin a accordé en 2023 un prêt de 49 millions de dollars pour une centrale solaire, malgré l’instabilité chronique. Au Mali, Sinohydro a signé un contrat pour une centrale de 100 MW et Ganfeng Lithium détient 40 % du gisement de Goulamina, l’un des plus vastes au monde. Dans ces pays gouvernés par des juntes, la Chine a aussi accru ses livraisons d’armes via Norinco, qui a ouvert un bureau régional à Dakar pour couvrir le Sahel.

Ces choix révèlent une logique cohérente mais risquée : privilégier la stabilité apparente des régimes militaires plutôt que la consolidation d’institutions durables. Pékin s’expose ainsi à des revirements contractuels, à l’insécurité grandissante et à une perte de crédibilité diplomatique, en particulier vis-à-vis de l’Union africaine dont elle a bafoué les règles en accueillant les juntes au Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC) en 2024.

Les risques d’une stratégie « régime-centrée »

La doctrine de non-ingérence, souvent présentée comme respect de la souveraineté, apparaît en réalité comme une politique « régime-centrée ». Pékin investit dans le maintien au pouvoir des autorités en place, sans considération pour leur légitimité populaire ni pour l’État de droit. Or, en l’absence de contre-pouvoirs judiciaires et de mécanismes transparents d’arbitrage, les investisseurs sont exposés à une imprévisibilité permanente.

Le constat est sans appel : les décès liés aux groupes jihadistes ont presque triplé au Niger depuis le coup d’État, dépassant 1 400 victimes prévues pour 2025, tandis que Niamey s’isole sous la pression de groupes armés contrôlant les axes routiers stratégiques. Cette instabilité structurelle fragilise les perspectives de remboursement de dettes et accentue le risque de voir les entreprises chinoises ciblées.

Des signaux d’inquiétude émergent en Chine même. Un rapport de la Commission du commerce de Shanghai a mis en garde, en mai 2025, contre l’exposition croissante des entreprises d’État aux aléas politiques africains, appelant à « une stricte neutralité » et à une limitation des ingérences. Pékin cherche désormais à renforcer ses médiations, comme en témoignent les efforts personnels de Wang Yi auprès du Bénin et du Niger pour garantir l’écoulement du brut.

L’enjeu dépasse le seul Sahel. Si la Chine entend sécuriser ses investissements et préserver son rôle de premier partenaire commercial de l’Afrique, elle devra concilier son principe de non-ingérence avec une exigence accrue de gouvernance et de prévisibilité. Faute de quoi, sa diplomatie transactionnelle risque de saper ses propres ambitions dans la région.

Chiffres clés des investissements chinois au Niger

5 milliards de dollars : coût du projet Agadem-Sèmè (CNPC).

980 millions de dollars : investissement dans la raffinerie Soraz (2011).

2,3 milliards de dollars : stock actuel d’IDE chinois, deuxième après la France.

519 millions de dollars : défaut de paiement du Niger en 2025.

66 % : hausse des décès liés aux groupes jihadistes depuis le coup d’État.

 

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