Alors qu’une nouvelle équipe dirigeante vient de prendre les rênes de l’Union Africaine (UA), la gestion des crises sur le continent continue de révéler l’inefficacité chronique de l’organisation. L’épisode de la médiation au Qatar, impliquant Paul Kagame et d’autres dirigeants africains, illustre une fois de plus l’incapacité de l’UA à s’imposer comme un acteur clé dans la résolution des conflits africains. Ce constat est d’autant plus alarmant que l’arrivée de Mahamoud Ali Youssouf, ministre djiboutien des Affaires étrangères depuis près de 20 ans, à la tête de la Commission de l’UA, ne semble pas augurer un changement de cap significatif.
Le choix de Mahamoud Ali Youssouf a été perçu comme une option de continuité bureaucratique, privilégiant la stabilité institutionnelle au détriment d’une véritable transformation. Face à la candidature de Raila Odinga, figure politique de premier plan et habitué des confrontations directes avec les puissances occidentales, de nombreux chefs d’État africains ont préféré un diplomate chevronné issu d’un petit pays neutre. Ce choix témoigne d’une volonté d’éviter un leadership trop affirmé qui aurait pu bousculer les équilibres et remettre en question le fonctionnement de l’organisation.
Cependant, ce pragmatisme institutionnel risque de se traduire par une inertie diplomatique. En l’absence d’une impulsion forte, l’UA continue d’être marginalisée dans les processus de résolution des crises africaines, laissant la place à des médiations extérieures, comme celle menée au Qatar. Cette incapacité à peser sur les conflits du continent alimente le scepticisme sur l’efficacité réelle de l’organisation.
Une UA spectatrice des crises africaines
L’Union Africaine n’a jamais réussi à s’imposer comme un véritable arbitre des conflits africains. Ses mécanismes de médiation sont souvent perçus comme inefficaces, trop lents et incapables d’imposer des solutions contraignantes. Son incapacité à résoudre des crises majeures – du conflit soudanais aux tensions en RDC, en passant par l’instabilité au Sahel – illustre ses limites structurelles.
L’exemple le plus récent est celui de la médiation entre différentes factions africaines… menée par un État du Golfe. Le recours au Qatar, pays qui n’a ni ancrage géopolitique en Afrique ni tradition d’implication dans la résolution des conflits africains, est un aveu d’échec pour l’UA. Cela démontre que les États africains eux-mêmes ne croient plus en la capacité de leur organisation continentale à produire des résultats concrets.
Ce constat est d’autant plus préoccupant que la nouvelle équipe dirigeante ne semble pas disposée à renverser cette tendance. Mahamoud Ali Youssouf et son équipe apparaissent comme des gestionnaires d’une structure administrative plus que comme des acteurs capables d’impulser une dynamique politique forte. Or, sans un leadership déterminé et audacieux, l’UA continuera de subir les crises africaines au lieu d’y apporter des solutions.
Un modèle institutionnel à bout de souffle
L’Union Africaine souffre de plusieurs faiblesses structurelles qui entravent son efficacité. Sa dépendance financière vis-à-vis des bailleurs internationaux limite sa marge de manœuvre et l’empêche de mener des initiatives indépendantes. De plus, son fonctionnement repose sur le consensus entre États membres, ce qui bloque souvent toute action décisive en cas de désaccords politiques.
En parallèle, les organisations régionales africaines, comme la CEDEAO ou la SADC, ont parfois montré plus de dynamisme dans la gestion des crises, bien que leurs propres limites soient aussi évidentes. L’UA, en revanche, peine à imposer une vision continentale cohérente et à coordonner efficacement les efforts de ses États membres.
Avec l’arrivée de la nouvelle équipe, beaucoup espéraient un sursaut, une réforme en profondeur de l’organisation pour la rendre plus efficace et réactive. Mais en optant pour un profil de continuité comme Mahamoud Ali Youssouf, l’UA semble avoir choisi la prudence au détriment du changement.
Quelle alternative pour l’Afrique ?
Face aux échecs répétés de l’UA, plusieurs pistes peuvent être envisagées pour refonder la gouvernance africaine en matière de paix et de sécurité. Une option serait de renforcer les organisations régionales et de leur conférer un rôle plus structurant dans la gestion des conflits, avec un appui financier et logistique accru. Une autre possibilité serait de revoir en profondeur le fonctionnement de l’UA, en lui donnant plus de moyens et en assouplissant ses mécanismes de prise de décision.
Mais ces réformes nécessiteraient un engagement politique fort, ce qui semble peu probable avec la nouvelle direction de l’UA. Tant que les dirigeants africains continueront à privilégier des choix de compromis et d’équilibre institutionnel, au lieu de promouvoir un leadership affirmé, l’UA restera un acteur marginal dans les affaires du continent.
L’épisode du Qatar est un signal d’alarme : il montre que l’Afrique, malgré ses ambitions affichées d’autonomie, continue de se tourner vers des acteurs extérieurs pour résoudre ses propres crises. Tant que l’Union Africaine restera une institution passive et bureaucratique, incapable de peser sur le destin du continent, elle continuera d’être contournée par ses propres membres. Et l’arrivée de Mahamoud Ali Youssouf, loin d’inverser cette tendance, risque de l’ancrer encore davantage.