Le 29 janvier marque une date charnière dans l’histoire de l’Afrique de l’Ouest : le Burkina Faso, le Mali et le Niger actent officiellement leur retrait de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Une décision qui, loin d’être un simple divorce institutionnel, pourrait bien redessiner l’échiquier géopolitique régional. Pour Issoufou Boubacar Kado Magagi, analyste socio-économique et politique nigérien, ce retrait n’est qu’une étape dans la consolidation de l’Alliance des États du Sahel (AES), qu’il voit désormais comme un acteur incontournable.
« Aujourd’hui, la dynamique est favorable à l’AES. Nous assistons à un intérêt croissant d’autres nations pour rejoindre cette structure. Le Tchad est pressenti pour intégrer l’Alliance, tandis que le Togo a déjà exprimé son intérêt. Même le Ghana, un poids lourd économique de la région, serait en réflexion sur une éventuelle adhésion », explique-t-il. Une expansion qui, si elle se concrétise, remettrait en question la suprématie de la CEDEAO.
Contrairement à ce que l’on aurait pu redouter, la rupture entre les trois pays sahéliens et la CEDEAO s’est opérée de manière relativement pacifique. « Ce divorce se fait à l’amiable et dans le respect des procédures diplomatiques », précise l’analyste. Une approche qui tranche avec les tensions ayant précédé la décision, marquées par les sanctions imposées par la CEDEAO aux régimes militaires de ces pays.
Derrière cette sortie volontaire se cache une réelle volonté des dirigeants de l’AES de se démarquer d’une organisation qu’ils jugent trop inféodée aux intérêts étrangers. « La CEDEAO court actuellement un risque de dislocation à cause des ingérences répétées de certains pays de l’Union européenne, en particulier de la France, dans ses affaires intérieures », analyse Issoufou Boubacar Kado Magagi. Un constat qui fait écho aux critiques récurrentes contre l’organisation régionale, accusée d’être trop alignée sur les politiques occidentales, au détriment des intérêts de ses propres membres.
Une interdépendance économique et humaine inéluctable
Cependant, ce retrait ne signifie pas une rupture totale avec la CEDEAO. « Les liens historiques entre les peuples de la région sont trop profonds pour être balayés d’un revers de main », insiste l’analyste. « Nous partageons des relations économiques et sociales qui remontent à l’époque précoloniale. Il serait absurde de penser que tout s’arrête brutalement. »
En effet, les interdépendances commerciales entre les pays de la CEDEAO et ceux de l’AES sont multiples. Les corridors commerciaux, les flux de travailleurs et les infrastructures partagées rendent une désintégration totale impensable. L’enjeu pour l’AES sera donc de négocier de nouveaux cadres de coopération qui lui permettent de préserver ces liens tout en renforçant son indépendance politique et économique.
L’Alliance des États du Sahel est-elle appelée à supplanter la CEDEAO ? La question reste ouverte, mais la dynamique actuelle suggère un glissement progressif des centres de pouvoir. L’AES semble se structurer avec l’ambition de devenir une force régionale alternative, voire concurrente de la CEDEAO.
« Si l’AES parvient à s’étendre et à mettre en place des politiques économiques et sécuritaires efficaces, elle pourrait rapidement devenir un acteur incontournable en Afrique de l’Ouest », conclut Issoufou Boubacar Kado Magagi. Une transformation en profondeur du paysage institutionnel ouest-africain qui pourrait bien redéfinir les alliances et les rapports de force dans les années à venir.