À l’aube d’une élection cruciale pour l’avenir de l’Union africaine (UA), trois figures politiques s’affrontent pour succéder à Moussa Faki Mahamat, dont le mandat a été marqué par une gestion controversée et un bilan souvent jugé insatisfaisant. Alors que le continent attend des réformes audacieuses et des solutions aux multiples défis géopolitiques et économiques qui le traversent, les candidats à la présidence de la Commission de l’UA s’engagent sur des enjeux majeurs pour l’Afrique.
Parmi ces prétendants, Raila Odinga, ancien Premier ministre du Kenya et figure de proue de l’opposition, se distingue par son approche résolument panafricaine. Âgé de 79 ans, l’homme, figure incontournable de la politique kényane, s’est affirmé lors du débat télévisé du 13 décembre 2024, où il a mis en lumière l’urgente nécessité d’une représentation renforcée de l’Afrique sur la scène mondiale. Convaincu qu’il est inacceptable qu’un continent de 1,4 milliard d’habitants soit exclu du Conseil de sécurité de l’ONU, Odinga plaide pour l’octroi de deux sièges permanents, assortis d’un droit de veto, pour le continent. « Il est injustifiable que l’Europe, avec trois sièges permanents, continue de dominer, alors que l’Afrique demeure en marge », a-t-il insisté, soulignant la nécessité de revoir les rapports de force internationaux au profit d’une Afrique enfin souveraine.
Son programme se veut ambitieux : Raila Odinga propose de réorienter les priorités de l’Union africaine vers l’éducation, les soins de santé, le développement des infrastructures et le renforcement du commerce intra-africain. Mais c’est sur la question de la paix qu’il a concentré sa vision, affirmant que l’Afrique doit cesser de dépendre des puissances étrangères pour financer sa sécurité et sa stabilité, et qu’il appartient au continent de financer et de gérer ses propres mécanismes de paix.
À ses côtés, Mahamoud Ali Youssouf, ministre des Affaires étrangères de Djibouti depuis 2005, s’affiche comme un homme d’expérience, ardent défenseur de la sécurité régionale et de l’unité africaine. Dans son discours, Youssouf a souligné les lacunes du Conseil de paix et de sécurité de l’UA, qu’il juge trop réactif face aux crises, alors qu’il devrait être plus proactif. « Nous devons renforcer les forces africaines en attente, qui sont actuellement sous-utilisées, et cesser de dépendre de l’aide étrangère », a-t-il affirmé, en insistant sur l’impérieuse nécessité de renforcer l’autonomie stratégique du continent. Pour lui, la priorité est de surmonter les divisions linguistiques et culturelles qui freinent l’unité continentale et, par la même occasion, d’accélérer le processus de consolidation de la paix sur le continent, un programme qu’il entend prendre en charge avec une forte implication régionale.
Enfin, Richard Randriamandrato, ancien ministre malgache des Affaires étrangères, se présente comme un fervent défenseur de l’intégration économique de l’Afrique. Économiste et financier de formation, il met l’accent sur la libéralisation du commerce intra-africain, actuellement limité à 12,6% des échanges totaux sur le continent. Lors du débat, Randriamandrato a insisté sur la nécessité de renforcer les blocs économiques régionaux et d’augmenter les échanges entre les pays africains. Pour lui, une croissance économique inclusive est impossible sans une réduction de l’influence étrangère sur la sécurité et les politiques économiques du continent.
La question de la présidence de la Commission de l’Union africaine est d’autant plus stratégique qu’elle intervient dans un contexte marqué par une gestion contestée de la part de Moussa Faki Mahamat. Son mandat, entaché par des accusations de gestion inefficace, notamment dans la gestion des crises sécuritaires et des tensions internes au sein de l’organisation, a laissé un sentiment de frustration parmi les États membres. De plus, sa gestion de la question de la paix et de la sécurité en Afrique, cruciale pour l’UA, a été jugée trop passive. Cette présidentielle pourrait marquer un tournant, en permettant de redéfinir les priorités et de renforcer le leadership africain face aux défis mondiaux.
L’élection du nouveau président de la Commission de l’UA, prévue pour février 2025, intervient dans un contexte de tensions géopolitiques croissantes, de défis sécuritaires multiples, et d’un désir de plus en plus affirmé des États africains de prendre leur destin en main. Le processus électoral, qui requiert une majorité des deux tiers des 55 États membres de l’organisation, sera sans doute une bataille acharnée de négociations et d’alliances stratégiques. Pour l’instant, les experts semblent s’accorder à dire que Mahamoud Ali Youssouf et Raila Odinga sont les favoris, mais la concurrence de Richard Randriamandrato ne saurait être sous-estimée.
Comme l’a souligné Edgar Githua, expert en diplomatie, Mahamoud Ali Youssouf se distingue par sa capacité à fédérer, grâce à sa maîtrise des langues et son expérience politique. « Je suis le seul candidat capable de servir de pont entre les différentes régions de l’Afrique », a affirmé le Djiboutien, mettant en avant sa connaissance des enjeux géopolitiques et sa capacité à dialoguer avec les acteurs clés du continent. La dimension régionale, avec une présidence de la Commission réservée à un représentant de l’Afrique de l’Est, semble également un atout pour lui.
L’issue de cette élection, au-delà des candidats, est une question de renouvellement du leadership et de réorientation stratégique de l’Union africaine. Le président élu devra non seulement relever les défis de la sécurité et de l’intégration économique, mais aussi redonner à l’UA sa place sur la scène internationale, dans un monde multipolaire où l’Afrique, trop souvent négligée, doit désormais être entendue.