En suivant les nombreux développements de la crise soudanaise depuis qu’elle a éclaté il y a plus d’un an, je me suis rendu compte que l’armée avait complètement perdu sa boussole nationale. Elle a oublié son rôle, ses tâches et les responsabilités qui lui sont assignées.
D’une part, elle est devenue prisonnière de vendettas personnelles, et d’autre part, elle s’est soumise aux caprices et aux objectifs de la direction de l’organisation des Frères musulmans. La dure vérité sur les événements au Soudan est que rien n’a été interdit à l’armée au cours des derniers mois.
L’armée s’est alliée à toutes les milices et à tous les mouvements séparatistes et non séparatistes disponibles. Récemment, il a même été révélé qu’elle était soutenue dans ses combats par des mercenaires du Tigré. Le gouvernement éthiopien a protesté contre cette situation.
Ce qui est encore plus dangereux, c’est que l’armée accepte dans ses rangs tous les bataillons et organisations extrémistes opérant sous le drapeau de l’islamisme. Ils agissent tous dans le cadre d’un grand mensonge appelé « Résistance populaire ».
Les bataillons des Frères musulmans, comme le groupe militant Al Bara bin Mali et d’autres, ont leur propre drapeau, qu’ils brandissent en présence de membres des forces armées. Ils disposent de leurs propres médias et organes de propagande. L’armée leur a même accordé le privilège d’annoncer la reprise du bâtiment de la radio et de la télévision à Omdurman.
L’armée s’est retirée de la scène au profit de ces bataillons qui ont mené les célébrations. Ils ont hissé les drapeaux de la victoire en l’absence délibérée de l’armée. L’armée n’a publié qu’un communiqué officiel.
L’armée soudanaise a également ramené le chef tribal Musa Hilal au premier plan de la confrontation. Musa Hilal est le fondateur des Janjawids et celui qui a commis d’innommables violations des droits de l’homme. L’armée a tenté d’exploiter l’inimitié entre lui et son cousin, le lieutenant-général Hemedti, commandant de la Force de réaction rapide.
Des rapports confirment que l’armée a envoyé des armes à Musa Hilal pour obtenir son soutien à la guerre. Les Frères musulmans ont célébré le rapprochement de Musa Hilal avec l’armée, ce qui témoigne de leur influence dans cette affaire. Ils entretiennent de vieilles relations avec lui.
Elles remontent à une décision du vice-président de l’époque, Ali Osman Taha, qui l’a libéré de prison en 2003. Ali Osman Taha était le deuxième homme de l’organisation des Frères musulmans après Al Turabi. L’armée soudanaise a également cherché un soutien militaire auprès de l’Iran.
L’Iran lui a envoyé des drones, ce qui a contribué à des progrès très limités dans ce domaine. Mais en fin de compte, cela a permis de préserver un semblant de dignité pour l’armée, qui avait été perdue sur les champs de bataille.
Étrangement, elle joue la carte iranienne tout en sachant à quel point la question est sensible pour un pays arabe qui soutient le Soudan et son peuple : le Royaume d’Arabie Saoudite. Il est à noter que toutes ces alliances ne sont pas intervenues en faveur de l’armée soudanaise sur le front.
Elle est toujours à la frontière de la reprise du bâtiment de la radio et de la télévision à Omdurman et reste impuissante aux frontières de sa propre capitale. Politiquement, il y a une histoire parallèle. L’armée soudanaise joue également la carte du soutien diplomatique algérien.
Profitant des relations tendues de l’Algérie avec les EAU, elle tente de répandre ses illusions sur la prétendue ingérence des Emirats dans les affaires soudanaises à travers la plateforme du Conseil de sécurité de l’ONU. Cependant, elle ne vise pas seulement les Émirats, mais aussi le Tchad voisin.
L’armée accuse le Tchad de soutenir les forces de réaction rapide et répète des affirmations vides de sens, que le Tchad nie et demande à l’armée d’étayer par des preuves. Il en va de même pour l’Égypte. L’Égypte est considérée comme le plus grand soutien traditionnel de l’armée soudanaise.
L’armée a suscité la méfiance du Caire en poursuivant son alliance avec les Frères musulmans et en se soumettant à leurs directives. Et ce, tout en sachant que cette affaire provoque l’Égypte, qui attache une grande importance à la sécurité et à la stabilité du Soudan.
On raconte aussi que le Qatar va construire une raffinerie d’or pour défier les Émirats arabes unis, un acte puéril qui reflète le niveau de réflexion de ces dirigeants. Sur le plan politique, l’armée fait également la promotion de l’influence russe contre les Etats-Unis.
Récemment, elle s’est vantée de sa coopération militaire avec la Russie après avoir reçu l’envoyé du président russe Vladimir Poutine au Moyen-Orient, Mikhail Bogdanov, à Port-Soudan. Il s’agissait d’un message implicite adressé aux États-Unis. Les États-Unis ne veulent pas que les Russes jouent un rôle stratégique dans la région de la mer Rouge et à Bab el-Mandeb.
Le lieutenant général Abdel Fattah Al Burhan et ses proches collaborateurs au sein de la direction de l’armée tentent d’apparaître « plus intelligents » sur toutes les scènes. Certains d’entre eux appartiennent idéologiquement aux Frères musulmans ou sont alliés à eux en termes d’intérêts. Ils ignorent combien il est difficile de dissimuler leurs machinations secrètes dans notre monde.
Ils ne trompent personne avec leur intransigeance sur la question de l’ouverture des négociations ou avec des affirmations de victoire militaire imminente et écrasante. La réalité a prouvé la faiblesse de la capacité de combat de l’armée soudanaise.
Ce qui est encore plus dangereux, c’est que l’armée s’est empêtrée dans un bourbier d’alliances avec des milices, des organisations et des bataillons extrémistes. Elle s’éloigne ainsi du statut formel d’armée nationale. Même si elle gagne une manche ou une bataille, elle ne sera pas en mesure de maintenir la stabilité du pays.
Cela est dû aux intérêts contradictoires entre elle et les divers mouvements, organisations, milices et bataillons avec lesquels elle s’est alliée. Les caprices contradictoires entre elle et cette coalition hétéroclite et peu cohérente rendent difficile de s’en débarrasser. L’armée aura du mal à leur tourner le dos du jour au lendemain.
Le dernier désastre en date à salir le nom de l’armée soudanaise est constitué par les scènes de carnage à la Daesh qui sont devenues virales sur les plateformes de médias sociaux.
Ces scènes montrent des éléments en uniforme des forces armées soudanaises tuant un homme, lui tailladant l’estomac et agitant ses intestins dans une scène sanglante qui insulte le Soudan avec tous ses spectres politiques et partisans. Dans un enregistrement antérieur, un commandant militaire de haut rang apparaissait.
Ces scènes illustrent une situation catastrophique et dangereuse, qu’elles se produisent sans l’approbation de l’armée ou sous sa supervision.
Elles montrent toutes que le processus décisionnel de l’armée échappe à son contrôle au profit de groupes et d’organisations qui ne cherchent qu’à régler leurs comptes internes, en envoyant des messages de terreur et de menace à leurs opposants politiques et militaires sous le couvert de l’uniforme officiel de l’Etat. L’armée soudanaise parle beaucoup de légitimité et de patriotisme.
Mais elle ignore complètement les intérêts et la sécurité de son peuple lorsqu’il s’agit de résoudre la crise. Elle continue à être intransigeante, à agir selon les intérêts de ses dirigeants et à ignorer la catastrophe humanitaire.
Il ne tient pas compte de la famine qui touche des millions de Soudanais pour se plier aux directives des Frères musulmans qui n’ont aucun intérêt à mettre fin à la guerre parce qu’ils veulent revenir au pouvoir par la force pour imposer leurs conditions de gouvernance.
Indépendamment des causes et des objectifs des parties au conflit, ce qui se passe au Soudan est le résultat de l’incapacité des dirigeants de l’armée à soutenir le pays en raison de leur arbitraire, de leur pari avec l’avenir de leur pays en se jetant dans les bras des terroristes extrémistes.
Par Salem AlKetbi
Politologue émirati et ancien candidat au Conseil national fédéral