lundi, octobre 13

Sous couvert de solidarité environnementale, l’architecture du financement climatique perpétue une dépendance structurelle : pour affronter une crise qu’ils n’ont pas provoquée, les pays du Sud doivent encore s’endetter. Une contradiction qui interroge la justice du système international et fragilise la promesse d’une transition équitable.

L’urgence climatique impose une mobilisation sans précédent de ressources. Pourtant, derrière les discours sur la solidarité internationale, un déséquilibre s’installe : près des deux tiers des financements dits « climatiques » accordés aux pays du Sud sont constitués de prêts, souvent à des conditions proches du marché. Autrement dit, la transition écologique du Sud se fait à crédit.

En 2024, selon la Banque mondiale, 34 États africains ont consacré davantage de ressources au service de leur dette extérieure qu’à la santé ou à l’éducation. Dans certains cas, les remboursements absorbent jusqu’à 40 % des recettes publiques. Ce déséquilibre budgétaire compromet la capacité de nombreux gouvernements à investir dans des programmes d’adaptation ou dans des filets sociaux face aux chocs climatiques de plus en plus fréquents.

Ce paradoxe trouve son origine dans la manière dont les flux financiers sont comptabilisés. Les bailleurs de fonds incluent dans leurs rapports aussi bien les prêts concessionnels que les investissements privés ou les garanties publiques, tous présentés comme de la « finance climatique ». Ce mode de calcul, largement toléré par les institutions multilatérales, gonfle artificiellement le volume d’aide réellement transféré aux pays vulnérables.

Pour les institutions financières internationales, les instruments remboursables présentent un double avantage : ils préservent la solvabilité de leurs bilans et permettent de recycler le capital sur d’autres projets. Dans les capitales du Nord, les contraintes politiques et budgétaires rendent par ailleurs le prêt plus acceptable que le don, perçu comme un transfert pur et donc plus coûteux électoralement.

« Les pays développés privilégient des mécanismes qui minimisent leur exposition budgétaire, quitte à accroître celle du Sud », résume un ancien économiste du FMI.

L’effet pervers d’une “solidarité à taux d’intérêt”

Cette logique a des conséquences concrètes. Confrontés à une dette croissante, les pays africains privilégient les projets jugés “bancables” — infrastructures énergétiques, parcs solaires, centrales hydroélectriques — au détriment d’initiatives communautaires locales, souvent non rentables mais essentielles à l’adaptation des populations.

Les ONG dénoncent une « injustice climatique structurelle » : les pays historiquement responsables du réchauffement prêtent pour réparer les dégâts, tout en exigeant d’être remboursés.

Au Nigeria, le gouvernement a multiplié les émissions de green bonds et de sukuk climatiques. Ces instruments innovants ont permis de financer des infrastructures vertes, mais ils demeurent des dettes à honorer. En Afrique de l’Ouest, le service de la dette climatique commence déjà à réduire la marge de manœuvre budgétaire des États, ralentissant l’exécution de programmes sociaux.

Face à cette impasse, plusieurs initiatives tentent de redéfinir la logique de financement. Les swaps dette-climat, qui convertissent une partie de la dette en investissements environnementaux, ont été expérimentés à petite échelle — au Cap-Vert, en Zambie ou au Belize — mais leur portée reste limitée. Les pays du Sud réclament également la réaffectation des droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI vers des projets d’atténuation et d’adaptation, ainsi qu’une réforme en profondeur des banques multilatérales de développement, jugées trop prudentes et trop lentes.

La création du Fonds « pertes et dommages » lors de la COP28 à Dubaï a constitué un signal politique fort, mais sa dotation initiale — moins d’un milliard de dollars — apparaît dérisoire au regard des besoins estimés à plus de 300 milliards par an d’ici 2030 pour le seul continent africain.

Vers une refonte de la gouvernance financière mondiale

À l’approche de la COP30 de Belém, prévue en 2026 au Brésil, les lignes de fracture s’affirment. Les pays du Sud exigent que la part des subventions augmente substantiellement et que la définition de la finance climatique soit clarifiée pour distinguer les flux réellement concessionnels des prêts à vocation commerciale.

Ils plaident également pour une réforme de la notation financière, estimant que les primes de risque imposées par les agences de rating entretiennent une spirale d’endettement injustifiée.

« Le climat n’est pas un produit financier », a récemment rappelé la ministre kényane de l’Environnement, Soipan Tuya. « Il s’agit d’un bien public mondial dont la préservation doit reposer sur la responsabilité historique et non sur la solvabilité. »

Au fond, le débat dépasse la question technique du financement pour interroger la philosophie même de la coopération internationale. Tant que les instruments verts reproduiront la logique de dette qui a structuré la dépendance postcoloniale, la transition écologique restera asymétrique.

La planète n’a pas seulement besoin de plus d’argent pour le climat ; elle a besoin d’un argent juste, libéré des chaînes du crédit et fondé sur une véritable coresponsabilité.

Sans une refonte structurelle, la promesse d’une justice climatique risque de demeurer un slogan creux — celui d’un monde où le Nord prête, où le Sud rembourse, et où le climat continue de se dérégler.

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