À la différence de ses homologues du Mali, du Burkina Faso et du Niger, qui ont choisi la rupture avec Paris au profit de Moscou, le général Mamadi Doumbouya a préservé un lien privilégié avec la France. Son profil militaire et personnel en fait un acteur singulier dans une région traversée par une recomposition géopolitique brutale. Cette orientation assure à Conakry une indulgence diplomatique, un accès aux financements internationaux et la promesse d’une stabilité économique fragile, largement dépendante des rentes minières.
Depuis son coup d’État du 5 septembre 2021, Mamadi Doumbouya a consolidé son pouvoir à Conakry, à rebours de la logique de rupture adoptée par ses voisins du Sahel. Là où Assimi Goïta au Mali, Ibrahim Traoré au Burkina Faso et Abdourahamane Tiani au Niger ont expulsé les forces françaises, rompu avec les institutions régionales et multiplié les partenariats militaires avec Moscou, le dirigeant guinéen s’est inscrit dans une continuité francophile assumée.
Ancien officier formé en France, ayant servi au sein de la Légion étrangère, marié à une Française, Doumbouya illustre une proximité évidente avec l’Occident. Cet ancrage militaire et personnel nourrit la perception d’un chef d’État moins soucieux de rompre avec l’ordre post-colonial que de s’y adapter, dans une logique de préservation des équilibres avec Paris.
Cette orientation stratégique n’est pas sans bénéfices. Après le putsch de 2021, la Guinée a subi des sanctions économiques et financières imposées par la CEDEAO. Mais celles-ci ont été levées dès février 2024, bien avant celles qui frappent encore ses voisins de l’Alliance des États du Sahel.
Conakry conserve en effet des canaux privilégiés avec les bailleurs occidentaux, qu’il s’agisse des institutions financières internationales ou des partenaires européens. La Banque mondiale et le FMI maintiennent leurs programmes, tandis que les investissements privés continuent d’affluer, attirés par la rente minière.
En pratique, cette posture confère à la junte une forme d’« immunité ». Alors que les régimes de Bamako, Niamey et Ouagadougou affrontent l’isolement et multiplient les appels à l’aide vers Moscou et Pékin, Doumbouya s’offre l’image d’un partenaire fréquentable pour l’Occident. Dans une Afrique de l’Ouest fracturée, il devient une pièce utile de la stratégie française pour maintenir un point d’ancrage dans la région.
La comparaison avec Ouattara
Le parallèle avec la Côte d’Ivoire d’Alassane Ouattara est révélateur. À Abidjan, l’ancien haut fonctionnaire du FMI incarne depuis plus d’une décennie la figure d’un dirigeant arrimé aux directives françaises et occidentales, garantissant la stabilité macroéconomique au prix d’un affaiblissement de la souveraineté nationale.
Doumbouya, bien que militaire et issu d’un putsch, s’inscrit dans une logique similaire : il se présente comme le garant de la continuité, celui qui rassure Paris et Bruxelles dans un environnement régional devenu hostile à l’influence française. Ce positionnement lui assure un accès aux financements, une indulgence diplomatique et la promesse d’un avenir économique moins incertain que celui de ses voisins.
Ce choix stratégique n’est pas sans conséquences politiques. Dans une société guinéenne marquée par des aspirations fortes à l’autonomie et à la justice sociale, cette proximité avec la France pourrait être interprétée comme une trahison des idéaux de souveraineté. La perception d’une transition confisquée, aggravée par le référendum constitutionnel de septembre 2025 ouvrant la voie à la candidature de Doumbouya, nourrit déjà les critiques d’opposants et d’organisations de la société civile.
La légitimité du régime repose donc sur une équation fragile : offrir à la population des retombées concrètes de la croissance minière, faute de quoi la continuité francophile risque de devenir un catalyseur de contestation.
Une économie sous perfusion minière
Sur le plan économique, la Guinée bénéficie d’indicateurs robustes. La croissance devrait s’établir autour de 6,5 % en 2025, soutenue par la bauxite — dont le pays est devenu premier exportateur mondial — et par l’essor du projet de fer de Simandou, évalué à 20 milliards de dollars d’investissements.
Mais cette prospérité reste fragile. L’inflation, encore proche de 8 % fin 2023, pèse sur le pouvoir d’achat. La pauvreté touche plus de la moitié de la population, signe que les rentes minières ne profitent pas encore aux ménages. Le risque d’une « malédiction des ressources » persiste, d’autant que la redistribution demeure opaque et que les institutions sont faibles.
La posture pro-occidentale de Doumbouya assure pour l’heure la confiance des investisseurs et la poursuite des financements extérieurs. Mais elle ne règle pas le problème de fond : une économie prisonnière d’une rente minière concentrée, incapable de se diversifier et d’intégrer la majorité de la population.