lundi, août 25

Après un déplacement remarqué en Chine, le Premier ministre sénégalais a poursuivi sa tournée des capitales du Sud global par une visite hautement stratégique en Turquie. Signant des accords économiques et sécuritaires d’envergure, il scelle une alliance sénégalo-turque qui confirme la rupture avec l’ère Macky Sall et redéfinit les équilibres diplomatiques de Dakar.

Le protocole en disait long. Recep Tayyip Erdogan, président turc aguerri aux scènes internationales, est allé au-delà des codes diplomatiques classiques pour accueillir personnellement Ousmane Sonko à Ankara. Poignée de main prolongée, échange appuyé, ton cordial et gestes de proximité : une mise en scène politique rare entre deux dirigeants, qui traduit autant une convergence stratégique qu’une complicité personnelle naissante.

Pour les observateurs, cette séquence est l’illustration d’une diplomatie sénégalaise en recomposition, où le choix des partenaires n’obéit plus à la logique exclusive des anciennes alliances coloniales, mais à une vision pragmatique de diversification et de souveraineté.

Sous Macky Sall, Paris demeurait l’axe central de la politique étrangère sénégalaise. Les grands contrats dans l’énergie, les infrastructures ou les télécommunications étaient massivement attribués à des groupes français, souvent avec des retombées limitées pour l’économie nationale. Cette orientation, jugée par certains comme une dépendance institutionnalisée, est désormais remise en cause.

Ousmane Sonko a fait le choix de déplacer le centre de gravité diplomatique vers un réseau élargi de partenaires du Sud global — Chine, Turquie, et bientôt d’autres puissances émergentes d’Asie et d’Amérique latine — dans une logique de contrepoids et de négociation plus équilibrée.

La visite à Ankara a débouché sur une série d’accords couvrant des domaines clés :

  • Industrie et infrastructures : cofinancement d’ouvrages portuaires et aéroportuaires, modernisation des réseaux ferroviaires.
  • Défense et sécurité : fourniture d’équipements militaires adaptés aux besoins sénégalais, coopération en matière de surveillance maritime et lutte contre le terrorisme.
  • Technologie et formation : création de centres de formation technique et transfert de savoir-faire dans l’ingénierie civile et militaire.
  • Commerce et investissement : augmentation du volume d’échanges bilatéraux, ouverture de lignes de crédit et incitations pour les entreprises turques à s’implanter au Sénégal.

La Turquie, déjà présente en Afrique de l’Ouest via ses chantiers d’infrastructures et ses exportations de drones Bayraktar TB2, voit dans le Sénégal un hub atlantique de premier plan. Pour Dakar, Ankara offre une combinaison rare : puissance économique émergente, autonomie diplomatique vis-à-vis des Occidentaux, et capacité à fournir des solutions industrielles et militaires compétitives.

Une dynamique Sud-Sud consolidée

Cette séquence turque s’inscrit dans le prolongement du déplacement de Sonko en Chine quelques semaines plus tôt. À Pékin, les accords avaient porté sur les infrastructures, l’énergie, l’agriculture et la coopération éducative, avec un accent sur le transfert de technologie et le financement non conditionné par des réformes politiques imposées.

En alignant ces deux visites, Dakar envoie un signal clair : sa diplomatie privilégie désormais une architecture Sud-Sud renforcée, capable de générer des partenariats complémentaires. Pékin pour la puissance financière et industrielle ; Ankara pour la projection stratégique, le savoir-faire militaire et l’agilité politique.

« Nous ne cherchons pas à remplacer une dépendance par une autre, mais à bâtir un maillage d’alliances qui protège nos intérêts », a affirmé le Premier ministre à Ankara, reprenant une ligne directrice déjà esquissée lors de ses précédents déplacements.

Une complicité politique hors du protocole

Si la portée économique et sécuritaire des accords est indéniable, l’élément le plus commenté reste l’accueil personnel d’Erdogan. Dans la hiérarchie protocolaire turque, une telle réception est réservée aux partenaires stratégiques ou aux dirigeants avec lesquels Ankara souhaite afficher une relation spéciale.

Les images de la rencontre, largement diffusées dans les médias turcs et sénégalais, montrent une connivence inhabituelle : échanges informels prolongés, absence de rigidité protocolaire et une gestuelle qui tranche avec la distance souvent observée dans ce type de rendez-vous.

Cette proximité a une valeur politique autant qu’humaine. Elle suggère une convergence de vues sur plusieurs dossiers : réforme de la gouvernance mondiale, place accrue des économies émergentes dans les instances internationales, et refus des ingérences des grandes puissances traditionnelles.

Pour le Sénégal, cette alliance turque offre une porte d’entrée vers de nouveaux réseaux de coopération, de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) aux corridors commerciaux eurasiatiques. Elle ouvre également la perspective d’une coopération triangulaire : Turquie–Sénégal–Afrique de l’Ouest, Ankara voyant Dakar comme un relais stable pour sa stratégie africaine.

Sur le plan continental, cette orientation contraste avec les relations parfois crispées qu’entretiennent certains pays africains avec la Turquie, en particulier dans le Maghreb. Elle positionne le Sénégal comme un partenaire de confiance et un point d’ancrage pour les investissements turcs dans la région.

Cette diplomatie de rupture comporte ses risques. Les liens historiques avec la France et l’Union européenne restent importants pour le commerce, la coopération académique et les investissements. La diversification vers des partenaires du Sud global suppose donc une gestion fine des équilibres, pour éviter toute perception d’alignement exclusif sur un nouvel axe.

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