lundi, août 25

Pour la première fois, Emmanuel Macron emploie officiellement le terme de « guerre » pour qualifier la répression menée par la France au Cameroun à partir de 1955 et prolongée bien après l’indépendance. Cette reconnaissance s’appuie sur un rapport de plus de mille pages d’historiens franco-camerounais, qui documente stratégies coloniales, massacres et continuité de l’engagement militaire français jusqu’au début des années 1970.

Le président français Emmanuel Macron a endossé, dans un courrier adressé à son homologue camerounais rendu public, les conclusions d’un rapport remis en janvier 2025. « Il y a bien eu une guerre au Cameroun, au cours de laquelle les autorités coloniales et l’armée française ont exercé des violences répressives de nature multiple », écrit-il, précisant que « la guerre s’est poursuivie au-delà de 1960 », pendant une décennie. Un choix lexical inédit, jusqu’alors absent du discours officiel, qui constitue un tournant mémoriel majeur après des gestes similaires sur l’Algérie, le Rwanda ou la répression de Thiaroye.

Le chef de l’État ajoute : « En additionnant les différents chiffres fournis par l’autorité militaire française, il est possible d’estimer ce bilan officiel à 7 500 combattants ». Mais le chiffre, qui ne prend pas en compte les pertes civiles, ne saurait masquer l’ampleur réelle : « Le bilan le plus plausible reste des dizaines de milliers de morts », conclut-il.

Fruit de quatre années de recherche, le rapport La France au Cameroun (1945-1971), dirigé par Karine Ramondy, mobilise plus de 1 100 cartons d’archives, 2 300 documents déclassifiés et une centaine d’entretiens. Divisé en quatre grandes sections, il retrace la trajectoire d’un conflit longtemps occulté.

De 1916 à 1955, l’administration française installe un quadrillage serré, s’appuyant sur les chefferies et contrôlant l’espace public pour prévenir l’essor du nationalisme. L’UPC, fondée en 1948, est rapidement placée sous surveillance.

Le basculement de 1955 inaugure une répression multiforme : arrestations massives, interdiction de l’UPC, justice d’exception, déplacements forcés et opérations militaires contre les bastions ruraux. Le Haut-commissaire Pierre Messmer, arrivé en 1957, transpose au Cameroun les méthodes éprouvées lors de la bataille d’Alger.

Après l’indépendance (1960), la France maintient ses troupes et conseille l’armée camerounaise dans la lutte contre les maquis Bassa et Bamiléké, prolongeant la guerre jusqu’au début des années 1970.

Les massacres documentés

Le rapport recense plusieurs épisodes marquants :

  • Douala, 24-25 septembre 1945 : répression aérienne et terrestre d’émeutes, au moins neuf morts recensés officiellement.
  • Ékité (31 décembre 1956) : bilans variant de 20 à 200 victimes.
  • Balessing (28 mai 1960) : massacre de civils lors d’opérations anti-maquis.
  • Tombel (8 août 1961) : douze ouvriers tués par une unité camerounaise encadrée par un officier français.
  • Mom-Dibang : torture extrême infligée par un gendarme français.
  • Chutes de la Métché : lieu symbolique de massacres coloniaux devenu site mémoriel.

Ces violences, mêlant répression coloniale et engagement post-indépendance, s’inscrivent dans une logique de guerre contre-insurrectionnelle visant à éradiquer l’UPC et ses soutiens.

En employant le terme « guerre » pour le Cameroun, Emmanuel Macron étend à un nouveau théâtre colonial la dynamique de reconnaissance amorcée avec l’Algérie (rapport Stora), le Rwanda, la Guadeloupe (1967) ou la répression de Thiaroye. D’autres chantiers demeurent : Madagascar (1947-48), la conquête coloniale et ses violences, la dette imposée à Haïti, l’Indochine (Haiphong 1946) ou Sétif (mai 1945).

Le geste présidentiel s’inscrit dans un contexte où, selon les historiens Pascal Blanchard et Benjamin Stora, « parler de la période coloniale reste un exercice délicat », polarisé entre lectures décoloniales radicales et nostalgies impériales. Leur ouvrage Doit-on s’excuser de la colonisation ? plaide pour une approche historique rigoureuse, capable de réconcilier mémoires plurielles et récit commun.

La reconnaissance de la guerre du Cameroun ne clôt pas le dossier : elle en ouvre d’autres. Au Cameroun même, ce travail nourrit la réflexion sur la transmission historique, la réhabilitation des victimes et la construction d’un récit partagé. En France, il interpelle sur les angles morts de la mémoire nationale et sur la nécessité d’un travail systématique couvrant l’ensemble des violences coloniales, sans hiérarchie ni oubli.

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