Le Sénégal, longtemps considéré comme l’un des alliés les plus fidèles de la France en Afrique de l’Ouest, tourne aujourd’hui une page définitive de son histoire diplomatique. Après plus de soixante ans de présence militaire française sur son sol, le pays s’apprête à fermer les portes de ses bases aux forces tricolores, actant ainsi un divorce politique et symbolique profond avec l’ancienne puissance coloniale.

Le général de brigade Yves Aunis, commandant des Éléments Français au Sénégal (EFS), a confirmé cette rupture dans une lettre adressée à l’inspecteur régional du Travail, annonçant le licenciement de 162 employés sénégalais au 1er juillet 2025. Ce courrier, daté du 27 janvier et authentifié par des sources militaires françaises, précise que cette décision s’inscrit dans le cadre de la fermeture des bases militaires françaises, conséquence directe de la volonté affichée par le président Bassirou Diomaye Faye de mettre fin à toute présence militaire étrangère sur le territoire national.

« Afin de mettre en application cette décision, vous trouverez en annexe la liste des 162 personnels employés sous contrat à durée indéterminée par les EFS prévus d’être licenciés au 1er juillet 2025 », indique le général Aunis, tout en sollicitant l’accompagnement des autorités locales dans cette « situation de force majeure ».

La décision présidentielle, annoncée dès son accession au pouvoir en 2024, s’inscrit dans un programme de rupture avec les pratiques post-coloniales, affirmant une souveraineté nationale pleine et entière. Elle marque un tournant dans les relations bilatérales, reléguant la France au rang de partenaire étranger parmi d’autres, loin des privilèges diplomatiques et stratégiques dont elle jouissait auparavant.

Les conséquences sociales d’une décision historique

Au-delà des implications politiques, cette décision a des répercussions immédiates sur le tissu socio-économique local. Les emprises militaires françaises à Dakar et dans ses environs employaient directement 162 personnes, tandis que 400 à 500 autres travaillaient indirectement via des entreprises sous-traitantes. Mi-janvier, plusieurs centaines de civils sénégalais ont manifesté à Dakar, exprimant leurs inquiétudes quant aux conditions de licenciement et de reclassement.

Face à ces tensions, le général Yves Aunis s’était voulu rassurant, affirmant que l’État français était « très conscient des enjeux humains et des impacts sur les familles sénégalaises ». Il avait promis que les procédures suivraient scrupuleusement le droit du travail sénégalais, tout en garantissant des conditions de départ « satisfaisantes ». Toutefois, ces assurances peinent à calmer les craintes des salariés, pour qui cette décision constitue une rupture brutale avec une stabilité professionnelle longtemps acquise.

Un partenariat historique en perte de vitesse

Depuis l’indépendance en 1960, le Sénégal a toujours occupé une place à part dans le dispositif militaire et diplomatique français en Afrique de l’Ouest. Dakar était non seulement un point stratégique pour les opérations militaires régionales, mais aussi un symbole de la coopération franco-africaine. Cependant, l’arrivée de la nouvelle administration en 2024, avec à sa tête Bassirou Diomaye Faye, a bouleversé cet équilibre.

Les nouvelles orientations diplomatiques préconisent un traitement égalitaire entre tous les partenaires étrangers, à l’opposé de la préférence longtemps accordée à la France. Ce changement s’est notamment manifesté par l’absence remarquée des plus hautes autorités sénégalaises lors de réunions organisées en France, un geste hautement symbolique traduisant la volonté de prendre des distances avec l’ancienne métropole.

Vers une redéfinition des relations internationales

Cette rupture entre le Sénégal et la France s’inscrit dans un mouvement plus large d’affirmation des souverainetés africaines face aux ingérences occidentales. Alors que d’autres pays de la région, comme le Mali ou le Burkina Faso, ont déjà exigé le départ des troupes françaises, le Sénégal, longtemps bastion de la coopération franco-africaine, rejoint à son tour cette dynamique.

La France, de son côté, se retrouve confrontée à la nécessité de redéfinir sa politique africaine, à l’heure où ses présences militaires et diplomatiques se voient contestées dans plusieurs anciennes colonies. Ce retrait forcé du Sénégal symbolise la fin d’une époque et l’émergence d’une Afrique plus autonome, déterminée à choisir ses partenaires sur la base d’intérêts mutuels et non de héritages coloniaux.

L’avenir des relations franco-sénégalaises reste incertain, mais une chose est sûre : le temps de la prédominance française en Afrique de l’Ouest est bel et bien révolu.

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