Alors que les groupes djihadistes du Sahel étendent leur emprise sur le Burkina Faso et le Mali, la Côte d’Ivoire semble jusqu’ici épargnée par une insurrection ouverte. Grâce à une stratégie combinant action militaire et mesures sociales, Abidjan a su empêcher l’implantation durable du Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (JNIM) dirigé par Amadou Koufa. Mais cette réussite est-elle pérenne ? La Côte d’Ivoire a-t-elle réellement les moyens de contenir la menace terroriste, ou vit-elle sous un sursis fragile, protégé par un parapluie sécuritaire français déjà fissuré ailleurs au Sahel ?

Face aux tentatives du JNIM d’exploiter les tensions communautaires entre éleveurs peuls et agriculteurs sédentaires, les autorités ivoiriennes ont répondu par un déploiement militaire massif dans le Nord. Des bases stratégiques ont été installées à Kafolo, Doropo et Téhini, zones clés de passage des groupes armés en provenance du Burkina Faso et du Mali. Des opérations d’envergure ont permis d’éliminer plusieurs cellules terroristes et d’arrêter des figures clés comme Abou Aisha, lieutenant d’Amadou Koufa.

Mais la Côte d’Ivoire, avec une armée relativement modeste et une expérience limitée en matière de contre-insurrection, peut-elle durablement tenir tête aux djihadistes qui ont mis en échec des États mieux armés comme le Mali et le Burkina Faso ? L’ombre de l’armée française, historiquement impliquée dans la défense ivoirienne, plane sur cette question. Depuis l’indépendance, la Côte d’Ivoire s’est appuyée sur la coopération militaire avec la France, qui dispose encore de bases et d’un rôle dans le renseignement.

Or, la France elle-même a échoué dans sa lutte contre le terrorisme au Sahel, malgré l’ampleur de l’opération Barkhane, et a été contrainte de quitter le Mali et le Burkina Faso sous la pression des juntes militaires. Si Paris n’a pas réussi à endiguer la menace malgré des moyens militaires colossaux, comment Abidjan, avec une armée encore en développement, pourrait-elle prétendre y parvenir seule ?

Un modèle social efficace ou un écran de fumée ?

Là où la Côte d’Ivoire se distingue, c’est dans sa volonté de combiner riposte sécuritaire et approche sociale. Des logements pour les réfugiés burkinabè, un accès facilité aux soins pour les communautés peules, des programmes de réconciliation entre agriculteurs et éleveurs, et des initiatives économiques pour les jeunes vulnérables visent à couper l’herbe sous le pied aux recruteurs djihadistes.

Mais ces mesures suffisent-elles à empêcher l’implantation du JNIM ? L’expérience des pays voisins montre que le djihadisme prospère dans les zones où l’État est perçu comme absent ou oppressif. La Côte d’Ivoire peut-elle réellement empêcher l’exclusion sociale de certaines communautés, quand on sait que les tensions ethniques et les frustrations socio-économiques restent une réalité dans certaines régions du Nord ?

De plus, ces politiques sociales nécessitent du temps et des ressources. Si la Côte d’Ivoire subit un ralentissement économique ou une crise politique, le terreau de la radicalisation pourrait à nouveau s’étendre, fragilisant ce modèle de résilience.

Un parapluie français troué, une menace grandissante

La stabilité de la Côte d’Ivoire repose en partie sur la présence militaire française, un héritage de la coopération sécuritaire post-coloniale. Mais cette protection est-elle une garantie à long terme ? La France, déjà contrainte de quitter le Mali, le Burkina Faso et le Niger sous la pression populaire et politique, pourrait-elle être poussée dehors en Côte d’Ivoire si un vent souverainiste se lève ?

Si la Côte d’Ivoire devait affronter seule une insurrection terroriste d’ampleur, sans le soutien logistique et militaire de Paris, aurait-elle la capacité de contenir la menace ? Le scénario malien, où une armée affaiblie a fini par céder du terrain face aux groupes djihadistes avant de se tourner vers d’autres partenaires comme Wagner, pourrait-il se répéter à Abidjan ?

La Côte d’Ivoire a, jusqu’à présent, su éviter le basculement dans l’instabilité chronique qui frappe ses voisins. Mais peut-elle réellement tenir cette position à long terme ? Entre une armée encore dépendante du soutien français et des tensions sociales qui, malgré les efforts, persistent dans certaines zones, la menace djihadiste semble loin d’être éradiquée.

L’avenir dira si la stratégie ivoirienne est un modèle de résilience ou une simple accalmie avant une tempête annoncée. Une chose est certaine : le défi sécuritaire est loin d’être terminé, et la Côte d’Ivoire devra prouver qu’elle est capable de faire face à cette menace sans l’ombre d’une armée étrangère.

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