La situation des intellectuels africains en quête de reconnaissance et d’opportunités à l’échelle mondiale, notamment en Europe, demeure une source persistante d’injustices. Historiens, philosophes, écrivains, chercheurs ou étudiants, ces acteurs du savoir, pourtant invités par des institutions prestigieuses, se heurtent à une réalité kafkaïenne, une épreuve qui fait écho aux déséquilibres coloniaux d’antan. Ces barrières administratives et ces humiliations répétées, allant de l’obtention de visas aux invitations refusées, viennent s’ajouter à un fardeau invisible : celui du racisme systémique, dont les racines plongent dans des siècles de domination.

Ciraj Rassool, professeur d’histoire à l’Université du Cap-Occidental, incarne ce phénomène avec une lucidité amère. « On est traités comme des mineurs indignes de confiance alors que nous travaillons avec les plus grandes institutions européennes », confie-t-il. Sa situation, loin d’être unique, témoigne d’un mal plus profond qui frappe les intellectuels africains, quel que soit leur domaine d’expertise. Alors qu’il doit se rendre à Londres pour une conférence et à Oxford pour ses recherches, son visa a expiré, et il devra en solliciter un nouveau pour cinq ans. Cette démarche administrative, lourde et coûteuse, ne fait qu’aggraver un quotidien déjà marqué par des frustrations multiples. « Ça va me coûter plusieurs centaines d’euros et je vais être obligé de renvoyer un paquet de documents, une lettre de mon employeur, etc. », poursuit-il, résigné mais déterminé à poursuivre son travail académique malgré tout.

Le parcours des intellectuels africains en Europe, lorsqu’ils sont invités par des universités ou des instituts culturels, se transforme souvent en une épreuve qui dure des mois, voire des années. La bureaucratie, le racisme institutionnel et la lenteur des processus administratifs s’associent pour créer un véritable parcours du combattant. Ces chercheurs, parfois de renommée internationale, se trouvent piégés dans un système qui semble évaluer leur mérite non pas en fonction de leurs compétences ou de leur expertise, mais à travers le prisme déformé de la suspicion et du préjugé.

Le constat est implacable : l’Afrique, malgré son potentiel intellectuel et son poids croissant dans les débats mondiaux, est systématiquement reléguée aux marges de la production et de la diffusion du savoir. L’appel aux intellectuels africains, qu’il émane d’universités, de fondations ou de conférences internationales, n’est souvent qu’un leurre. Ils sont traités avec condescendance et leurs contributions minimisées, quand elles ne sont pas purement et simplement ignorées. « C’est un processus douloureux, lent, permanent », résume l’historien sud-africain, un sentiment partagé par de nombreux chercheurs du continent.

Les visas refusés ou obtenus trop tard, les colloques manqués et les invitations non honorées sont des réalités quotidiennes pour ces intellectuels, qui ne cessent de dénoncer ce système discriminatoire. Ce déni d’accès aux lieux de savoir européens n’est pas seulement un problème bureaucratique. Il s’agit d’une nouvelle forme de colonialisme, subtile mais insidieuse, qui perpétue l’idée selon laquelle les Africains ne méritent pas d’accéder aux mêmes opportunités, aux mêmes ressources et aux mêmes chances de diffusion de leurs idées.

L’histoire coloniale, loin d’être un passé révolu, continue de marquer de son empreinte les relations entre l’Europe et l’Afrique, notamment dans les domaines de la recherche et de la culture. En persistant à reléguer les intellectuels africains à une position de subordination, les institutions européennes trahissent leur discours de pluralisme et d’ouverture, tout en mettant à mal la coopération internationale qu’elles prétendent promouvoir.

À l’ère de la mondialisation et de la décolonisation des savoirs, il est plus que temps de remettre en question ces asymétries flagrantes. Les intellectuels du « Sud global », et particulièrement ceux d’Afrique, ne demandent pas la charité mais un accès équitable aux plateformes intellectuelles et aux ressources mondiales. C’est en abolissant ces obstacles et en traitant les chercheurs africains sur un pied d’égalité que l’on pourra espérer construire un véritable dialogue entre les continents, fondé sur le respect mutuel et l’échange authentique.

Dans cet enchevêtrement de défis administratifs, de racisme systémique et de désaveu intellectuel, les voix des intellectuels africains continuent de se faire entendre. Elles ne sont pas celles de victimes résignées, mais celles de chercheurs déterminés à renverser un héritage colonial trop longtemps ignoré. Cependant, ces voix demeurent souvent inaudibles dans un contexte où les institutions européennes semblent se boucher les oreilles, préférant maintenir leur statu quo plutôt que d’admettre les fractures qui traversent encore leurs pratiques. Les intellectuels africains, malgré les obstacles, continueront de résister, dans l’espoir de pouvoir un jour bénéficier du respect et de la reconnaissance qu’ils méritent.

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