Alors que le thème des Assemblées annuelles 2024 de la BAD porte sur la réforme de l’architecture financière mondiale, le président Adesina a dévoilé certains aspects des réformes préconisées par son institution, en soulignant l’urgence d’une intégration pleine et entière de l’Afrique dans la prise de décision financière mondiale et d’une révision des critères de risque défavorables au continent.
A Nairobi lundi 27 mai 2024, lors des rencontres annuelles de la Banque africaine de développement (BAD), le président de l’institution, Akinwumi Adesina (photo), a plaidé pour les aspirations africaines face à une architecture financière mondiale qu’il juge obsolète et injuste.
75 milliards de dollars d’économies potentielles dans le service de la dette
Pour exposer ce qu’il considère comme réformes urgentes à opérer, l’économiste nigérian fustige d’entrée, le coût élevé des emprunts pour les pays africains comparativement à des pays européens ayant des notations similaires. Cette situation résulte d’une « mauvaise évaluation des risques de l’Afrique par les institutions financières mondiales »,affirme-t-il avec conviction. D’après une étude du PNUD, citée par le président, les pays africains pourraient économiser jusqu’à 74,5 milliards de dollars si leurs notations de crédit étaient basées sur des évaluations moins subjectives. Cette manne financière leur aurait permis de rembourser le principal de leurs dettes intérieures et extérieures, libérant ainsi des ressources pour des investissements dans le capital humain et le développement des infrastructures.
Réformes des institutions de Bretton Woods
Ciblant les institutions de Bretton Woods, M. Adesina rappelle que l’Afrique n’était pas à la table lors de leur création. Aujourd’hui, il est temps, dit-il, que cela change. L’octroi récent d’un troisième siège au conseil d’administration du FMI pour le continent est un premier pas, mais il en demande plus : une vraie place au dialogue. « L’une des grandes choses que l’Afrique demande est une voix plus forte. Nous ne voulons plus rester de simples spectateurs dans les institutions et les plateformes qui affectent notre propre développement », avertit le président de la BAD.
La BAD en première ligne
En matière de financement climatique, il décrit le grand écart entre les besoins et les fonds alloués à l’Afrique. Avec seulement 30 milliards de dollars reçus contre un besoin de 277 milliards de dollars par an pour faire face aux changements climatiques, il est clair, selon lui, que l’architecture actuelle ne répond pas aux exigences du continent. D’autant plus que les pays les plus frappés par les effets du changement climatique sont en Afrique.
Pour pallier ce déficit, la BAD actionne deux leviers. « Premièrement, notre engagement en tant que banque est de mobiliser 25 milliards de dollars pour le financement climatique en Afrique, d’ici 2025. Nous avons fixé une norme selon laquelle environ 40 % de notre financement total devrait être alloué à des initiatives climatiques. A ce jour, nous avons déjà dépassé cet objectif, en atteignant environ 45 à 47 % de notre financement dédié à des projets liés au climat, principalement pour l’adaptation au changement climatique », s’est félicité Akinwumi Adesina.
« Deuxièmement, indique le responsable,au sein du Fonds africain de développement, qui est notre mécanisme de financement concessionnel, nous avons innové en créant une « fenêtre d’action climatique » ». Et de poursuivre : « cette initiative fait de nous la première institution de financement concessionnel au monde à disposer d’une telle réserve dédiée à la gestion des chocs climatiques externes. »
Initialement dotée de 429 millions de dollars, cette fenêtre a bénéficié du soutien substantiel des Pays-Bas, du Royaume-Uni, de la Norvège, de la Suisse et, notamment, de l’Allemagne, apprend-on. Mais, reconnaît le dirigeant, « aucune institution ne peut seule résoudre les défis auxquels nous sommes confrontés. Nous devons travailler ensemble pour y parvenir », car le déficit financier reste abyssal.
Lenteur des négociations sur la dette africaine
Sur la situation actuelle de la dette dans certains pays, le président est convaincu que l’Afrique est « un peu piégée ». « Entre 2014 et 2024, 19 pays africains ont émis des eurobonds pour plus de 200 milliards de dollars. A l’époque, les taux d’intérêt étaient bas, ce qui a encouragé cet endettement, ce qui est acceptable. Mais aujourd’hui, avec la dévaluation et le durcissement de la politique monétaire en vigueur dans la zone euro ou aux Etats-Unis, le coût du service de la dette a explosé », diagnostique-t-il. Et lorsqu’il s’agit de la restructurer, le leader fustige un processus « trop lent », mais salue cependant le cadre commun du G20 qui a rassemblé « des membres du Club de Paris, des créanciers non membres du Club de Paris et des créanciers commerciaux, et permis de résoudre les problèmes de la dette de la Zambie, du Tchad et actuellement de l’Ethiopie. »Cependant, il estime que ce processus reste toujours trop lent. « Si quelqu’un saigne, il faut arrêter l’hémorragie rapidement. Attendre trop longtemps pourrait lui être fatal ».
Un mécanisme de stabilisation financière pour amortir les chocs
C’est d’ailleurs dans cet ordre d’idées que la BAD a été sollicitée par l’Union africaine pour créer un mécanisme de stabilité financière africaine (MSFA) qui « fournirait un coussin financier pour les pays africains en cas de chocs ». Une solution à long terme semblable à celle du FMI, mais endogène, évoquée pour la première fois au moins depuis plusieurs années maintenant, et saluée par le gotha financier africain, mais qui peine encore à être mise en œuvre.
Réallocation des DTS selon les besoins et non des quotas
En attendant que cet outil voit le jour, le président de la BAD estime que l’Afrique doit encore se battre sur d’autres fronts : l’allocation des DTS et les flux financiers illicites. Pour ‘’l’homme au nœud papillon’’, le continent semble perdre au jeu des quotas sur l’épineuse question des DTS. Et même si le FMI vient de donner son quitus pour que les pays développés réorientent une partie de leurs DTS aux banques de développement, M. Adesina signe et persiste : le continent n’a reçu que 33 milliards de dollars sur les 650 milliards de dollars émis. « Il y a des discussions sur la manière dont nous pouvons examiner les mécanismes de quotas et nous assurer qu’à l’avenir, ils sont basés sur les besoins et non sur le montant des quotas détenus, afin que ceux qui en ont le plus besoin en reçoivent davantage », a estimé le président de l’institution basée à Abidjan.
(Agence Ecofin)