Sept mois après le coup d’Etat ayant mis fin à 55 ans de « dynastie Bongo » au Gabon, le président de transition Brice Oligui Nguema tiendra promesse mardi avec un Dialogue national inclusif (DNI) d’un mois, censé préparer des élections en 2025.
Le respect jusqu’ici du calendrier d’une transition de deux ans est salué par la communauté internationale et une grande majorité de Gabonais, pour qui le général est un « héros » qui les a sauvés d’un régime « corrompu », mais des voix s’élèvent pour fustiger un dialogue « entre soi », qui pavera une voie royale au général Oligui vers la présidentielle.
Les appels à reporter et réorganiser cette « consultation de toutes les forces vives de la nation » sont quotidiens dans la frange de l’ex-opposition qui n’a pas rallié le pouvoir militaire et dans la presse indépendante. En cause, d’abord, une organisation « unilatérale » et la part belle, parmi les 580 participants, faite aux militaires et aux institutions nommées par le président depuis le coup d’Etat du 30 août 2023: gouvernement, députés, sénateurs, « délégations spéciales » ayant remplacé conseils municipaux et départementaux, etc.
Les 580 participants ont été nommés par M. Oligui, dont 104 militaires. Et 199 des sièges « sont d’ores et déjà acquis » à l’autorité militaire, et « bien plus avec les délégations spéciales » – soit potentiellement près de 300 au total –, soulignait le média indépendant GabonReview.com dans un éditorial du 21 mars intitulé « DNI: une partie de bonneteau ». D’autant que l’opposition fustige le maintien, au sommet des institutions, de très nombreux caciques des régimes d’Omar Bongo, président pendant 41 ans, et de son fils Ali (plus de 14 ans).
« Les mêmes »
Au cœur du « PK 10 », quartier défavorisé de la capitale Libreville, les commentaires sont enthousiastes ou désabusés. « Chacun va donner son avis, on a attendu ça longtemps », se réjouit Firmin, retraité de la gendarmerie. « On se demande si ça ne va pas faire chou blanc », sourit Tristan Gelaz, 50 ans, pour qui « les acteurs de la transition sont les mêmes qui ont souillé le pays hier ».
Pour le reste des 580 participants, le chef de l’Etat en a choisi un parmi quatre proposés par chacun des 104 partis légalement reconnus, dont une grande majorité a fait allégeance au général depuis le putsch. « Ce n’est pas respectueux de la démocratie interne des partis », s’insurge Anges Kevin Nzigou, du Parti pour le changement (PLC), pour qui le pouvoir militaire « démontre sa volonté de contrôler de bout en bout le débat ».
« Il faut revoir les critères de participation, ils ne sont pas inclusifs », renchérit Lionel Giovanni Boulingui, du parti d’opposition REAGIR. « Organiser un dialogue et choisir qui vient, c’est un peu comme avoir défini ce qui va être dit », analyse Guy Pambo Mihindou, chercheur en sciences politiques à l’université de Libreville. M. Oligui a également nommé les 217 représentants de la société civile (patronat, syndicats, retraités, jeunes, ONG, cultes…).
Vaste consultation
Par ailleurs, l’absence d’informations sur la préparation et le déroulé des travaux inquiète l’opposition. « L’organisation du DNI se fait dans l’opacité la plus totale », dénonce Joachim Mbatchi Pambou, du Forum pour la défense de la République (FDR). Il en va ainsi de l’appel à contribution lancé en octobre jusqu’aux villages les plus reculés.
Le président a voulu que « tous les Gabonais » puissent s’exprimer, s’enorgueillit sa ministre de la Réforme des Institutions, Murielle Minkoué, qui revendique 38.000 doléances recueillies dans des guichets ou sur une plateforme en ligne, parmi les 2 millions d’habitants de ce petit pays d’Afrique centrale riche en pétrole. Elles devaient être synthétisées pour servir de base aux travaux du DNI mais, à quatre jours de son ouverture, aucune synthèse n’a été publiée.
Le dialogue national n’étant pas « souverain », ses résolutions ne seront pas contraignantes, estiment aussi ses détracteurs, notamment pour la nouvelle Constitution promise à référendum fin 2024. Enfin, les griefs de l’opposition se concentrent sur l’avenir du chef de l’Etat: la charte de transition édictée par les militaires après le putsch interdit la présidentielle de 2025 à tous les cadres des institutions de transition, à l’exception… du président Oligui.
Pour l’opposition, cette disposition ne sera pas remise en cause par un DNI « phagocyté » par les thuriféraires du général, dont elle dénonce un début de « culte de la personnalité » et un boulevard tracé pour le scrutin de 2025.