samedi, septembre 13

Rarement un geste protocolaire aura autant troublé les lignes. La visite de Jacob Zuma à Rabat, en juillet 2025, a mis à nu les fractures d’une politique étrangère sud-africaine longtemps monolithique sur la question du Sahara : polarisation sans hégémonie, émergence d’un pôle « non hostile », déplacement du cadrage de la « décolonisation » vers l’« intégrité territoriale ». Une controverse brève mais structurante, qui fait entrer un dossier perçu comme élitaire dans la délibération publique.

Le cycle médiatique a tenu en trois semaines, entre le 15 juillet et le 10 août 2025 : près de 2 200 publications sur X/Twitter et 20 articles dans les principaux médias sud-africains (IOL, Mail & Guardian, News24 ; chaînes SABC News, eNCA, Newzroom Afrika). Deux pics d’attention se détachent : l’apparition d’images de Jacob Zuma à Rabat aux côtés du drapeau sud-africain (17–18 juillet) puis la réaction du ministère des relations internationales (DIRCO) le 6 août. Cette « médiatisation événementielle » a fait irruption dans l’agenda en combinant un acteur clivant et un symbole national hautement chargé, déclenchant une spirale attentionnelle vite retombée faute de stimuli, avant relance par l’intervention officielle.

Le débat n’a pas diffusé de manière diffuse, mais via un petit nombre de nœuds : comptes d’actualité (Newzroom Afrika, SABC News) et figures politiques (Carl Niehaus, Floyd Shivambu), auxquels se sont agrégés des relais pro-MK Party (Magasela Mzobe, @XFactor079). Ces « super-émetteurs » ont concentré l’engagement, pendant que les médias, en acteurs gatekeepers, validaient l’existence même de la controverse par une couverture principalement factuelle, aussitôt re-cadrée par les camps militants.

Le Parlement issu de 2024 fragilise le vieux verrouillage normatif : l’ANC, passé d’hégémonique à force relative (\~40 %), ne peut plus, seul, imposer une ligne extérieure ; l’EFF recule ; le MK Party surgit avec 58 sièges et un ancrage territorial robuste ; la DA demeure stable (autour de 21–22 %) et pèse comme acteur pivot en « neutralité positive ». Résultat : la coalition « hostile » garde le volume, sans capacité de bloc total ; un arc « non hostile », du soutien explicite (MK) aux neutralités positives (DA, IFP, VF+), gagne une respectabilité qui autorise, à défaut d’un revirement doctrinal, des majorités ponctuelles autour d’items peu conflictuels (coopérations sectorielles, échanges parlementaires, formation).

Le cœur du basculement : du récit de « décolonisation » à la grammaire de l’« unité »

L’innovation discursive vient du MK Party : plutôt que contester frontalement l’héritage anti-apartheid mobilisé par l’ANC et ses alliés, le mouvement re-traduit le lexique historique. L’argumentaire se recentre sur la non-partition, l’anti-sécessionnisme et l’intégrité territoriale, inversant l’analogie des « bantoustans » souvent brandie contre le plan d’autonomie marocain. Le séparatisme est requalifié comme logique de fragmentation rappelant, précisément, les « homelands » de l’apartheid. Cette localisation de normes abaisse les coûts d’adhésion pour des publics non experts et augmente la respectabilité d’un cadrage pro-intégrité dans l’espace public.

La séquence suit un triptyque net : initiateurs (Zuma et les porte-voix du MK) qui posent un lexique domestique ; validateurs institutionnels (DIRCO, cadres parlementaires pivots) qui sanctionnent ou normalisent ; amplificateurs médiatiques et partisans qui propulsent des mots-clés simples—« drapeau », « mandat », « intégrité », « anti-sécession ». Le résultat n’est pas la conversion de masse, mais la pluralisation des arènes de légitimation : l’exécutif conserve la voix normative, sans monopoliser la définition publique.

 

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