L’Afrique, loin d’être un simple théâtre de tensions locales, s’impose de plus en plus comme un espace stratégique où se cristallisent les rivalités entre grandes puissances. Entre le déclin français au Sahel, les ambitions chinoises et les reconfigurations diplomatiques américaines, le continent voit ses crises exacerbées par des dynamiques géopolitiques mondiales.
Le retrait de la France et la reconfiguration du Sahel
La perte d’influence française en Afrique subsaharienne marque un tournant géopolitique majeur. Le Burkina Faso, le Niger et le Mali, en rupture avec la CEDEAO et plus largement avec l’ordre régional traditionnellement sous influence française, ont formé l’« Alliance des États du Sahel ». Cette nouvelle configuration fragilise davantage la stabilité d’une région en proie à la menace jihadiste et à la montée des insurrections armées.
En parallèle, la France peine à maintenir son rôle historique de puissance militaire et diplomatique dans la région. Le départ des troupes françaises de plusieurs pays sahéliens, conséquence d’une perception croissante d’ingérence et d’inefficacité, a ouvert un vide sécuritaire rapidement investi par d’autres acteurs comme la Russie, via le groupe paramilitaire Wagner, et la Turquie, qui renforce ses liens économiques et militaires avec certains États africains.
Le conflit au Soudan : un enjeu géopolitique élargi
Le Soudan incarne un autre front des rivalités internationales. Les combats entre l’armée régulière et les Forces de soutien rapide (FSR) ont plongé le pays dans une crise humanitaire dramatique, avec 25 millions de personnes en besoin d’aide et 13 millions de déplacés. Mais au-delà de la dimension interne du conflit, la guerre soudanaise est aussi le reflet d’un affrontement indirect entre puissances régionales et internationales.
L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis soutiennent les FSR, tandis que l’Égypte et la Russie appuient l’armée nationale soudanaise. La Chine, quant à elle, surveille de près l’évolution du conflit, soucieuse de protéger ses investissements stratégiques, notamment dans le secteur minier.
Djibouti et Somaliland : la bataille des bases militaires
Situé à la croisée de l’Afrique et du Moyen-Orient, Djibouti est un enjeu stratégique central, hébergeant la plus grande base militaire américaine du continent, mais également des installations françaises, japonaises et chinoises. Cette concentration militaire attise les tensions, notamment entre les États-Unis et la Chine.
Washington s’inquiète de l’implantation croissante de Pékin dans la région, notamment via des projets d’infrastructures et la perspective d’une base militaire chinoise supplémentaire à Djibouti. Dans ce contexte, certains décideurs américains plaident pour le développement d’un partenariat avec le Somaliland, territoire autoproclamé indépendant, comme alternative à Djibouti.
L’Est africain et la montée des tensions régionales
L’Afrique de l’Est est également marquée par des crises à la confluence des enjeux locaux et internationaux. En République démocratique du Congo (RDC), les affrontements entre les forces gouvernementales et les rebelles du M23, soutenus par le Rwanda, ont ravivé un conflit latent depuis plusieurs décennies. La prise de Goma par les rebelles et la réaction hostile de Kinshasa, qui accuse Kigali d’agression, ont contribué à envenimer les relations diplomatiques entre les deux voisins.
Les grandes puissances ne sont pas étrangères à ces tensions. Les États-Unis, la France et l’Union européenne exercent des pressions pour éviter un embrasement régional, tandis que la Russie et la Chine poursuivent leur coopération militaire et économique avec plusieurs États de la région.
Une Afrique au cœur des enjeux du XXIe siècle
Ces différentes crises illustrent la manière dont l’Afrique demeure un espace d’affrontement indirect entre puissances étrangères, chacune cherchant à imposer son influence à travers des alliances stratégiques et des soutiens plus ou moins directs aux différents acteurs locaux.
Alors que le continent représente un potentiel économique et démographique majeur, son avenir dépendra de la capacité des États africains à se réapproprier leur souveraineté diplomatique et militaire. Face à ces dynamiques complexes, la nécessité d’une gouvernance africaine renforcée, capable de dépasser les logiques de division imposées par des intérêts extérieurs, apparaît comme un enjeu crucial pour la stabilité et le développement du continent.