L’image est frappante. Tandis que l’Europe consolide son marché unique, que l’Asie s’impose comme l’usine du monde et que l’Amérique maintient son hégémonie économique, l’Afrique demeure ce vaste continent regorgeant de ressources, mais toujours en quête de son envol industriel et commercial. Depuis des décennies, les discours sur l’intégration africaine se succèdent, les plans se multiplient, et pourtant, les échanges entre pays africains restent marginalisés, entravés par des barrières tarifaires et non tarifaires, des infrastructures insuffisantes et une dépendance persistante aux marchés extérieurs.
Mais depuis le 1er janvier 2021, un espoir nouveau anime le continent : la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF). Longtemps perçue comme une chimère par les sceptiques, cette initiative a finalement pris son envol. Son objectif est ambitieux : créer le plus grand marché intégré du monde, couvrant 54 pays et 1,4 milliard de consommateurs, et stimuler le commerce intra-africain, qui stagne autour de 14 %, bien loin des 60 % en Europe ou des 40 % en Asie. Si les projections se concrétisent, ce taux pourrait atteindre 34 %, générant des flux commerciaux estimés à 2 400 milliards de dollars.
Un vieux rêve maintes fois brisé
Ce projet n’est pas né de nulle part. Depuis les indépendances, de nombreuses initiatives ont tenté de fédérer les économies africaines. En 1980, l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) lançait en grande pompe le Plan d’action de Lagos, une feuille de route ambitieuse visant à réduire la dépendance du continent vis-à-vis des puissances étrangères. Mais les crises économiques, les ajustements structurels imposés par le FMI et la Banque mondiale, ainsi que les divergences entre États ont rapidement enterré ces ambitions.
Dans les années 2000, une autre initiative voit le jour : le Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD), porté par des figures telles qu’Abdoulaye Wade, Thabo Mbeki, Abdelaziz Bouteflika, Hosni Moubarak et Olusegun Obasanjo. Ce projet, censé offrir une vision pragmatique du développement, s’est progressivement étiolé, miné par l’influence prépondérante de l’Afrique du Sud et par l’incapacité des États à mutualiser leurs stratégies.
Un espoir à concrétiser
La ZLECAF parviendra-t-elle à briser ce cycle d’échecs ? Sur le papier, l’initiative est prometteuse. En supprimant les droits de douane sur 90 % des produits et en facilitant la libre circulation des biens et des services, elle pourrait donner un coup d’accélérateur aux industries locales, créer des millions d’emplois et permettre aux entreprises africaines de s’appuyer sur un vaste marché domestique.
Mais de nombreux défis restent à relever. Les infrastructures de transport demeurent insuffisantes : des routes délabrées, des ports saturés et des réseaux ferroviaires quasi inexistants compliquent encore le commerce interafricain. Les barrières non tarifaires, telles que les lourdeurs administratives et les réglementations disparates, continuent de freiner les échanges. Enfin, les rivalités économiques et politiques pourraient ralentir l’harmonisation des politiques commerciales.
Pour transformer cette ambition en réalité, il faudra plus que des accords signés. Les États africains devront investir massivement dans leurs infrastructures, moderniser leurs procédures douanières et favoriser une véritable coopération économique, au-delà des discours politiques. La ZLECAF n’est pas une garantie de succès, mais elle offre une opportunité inédite de sortir du piège de la dépendance.
L’Afrique est-elle enfin prête à commercer avec elle-même ? L’histoire jugera, mais pour la première fois depuis longtemps, l’espoir semble permis.