vendredi, novembre 22

Face à un monde de plus en plus incertain, les grandes puissances se livrent une guerre de leadership, leurs pouvoirs de nuisance sont devenus dévastateurs. La recherche de l’équilibre des puissances est menacée par cette course effrénée vers une sanctuarisation agressive de leurs armements militaires. L’ordre mondial est fortement mis en danger. Les pays vivent désormais avec une épée de Damoclès, celle d’une troisième guerre mondiale. 

En cas de guerre nucléaire, 100% des centres militaires, économiques et de pouvoir disparaitraient. Ainsi, la dissuasion nucléaire française a la capacité de réduire en poussière l’équivalent de la superficie française en Russie. L’effet serait juste dévastateur. La première tête française fait 100 kilotonnes, contre 20 kilotonnes pour la bombe larguée sur Hiroshima.

Le premier âge nucléaire était dominé par la rivalité entre les Etats-Unis et l’URSS. Après la crise des missiles de Cuba, on a vu la mise en place de quelque chose de plus cadré et rationnel, notamment avec des traités de limitation des armements. Mais les stocks des 2 côtés, montent au-delà des 30 000 têtes nucléaires. La fin de la guerre froide a mené à une période de désarmement qui caractérise le 2ème âge. La bascule dans le 3ème âge débute quand la Corée du Nord sort du Traité de non-prolifération, produit son plutonium, fait des essais et commence à fabriquer ses bombes. On se rend compte alors que les dictatures ne s’inscriront pas dans une logique de désarmement.

Histoire :

Christopher Dawson « les grandes religions sont les fondements des grandes civilisations »

Effondrement de l’URSS

Au moment de l’effondrement de l’URSS, Kiev disposait du troisième arsenal atomique de la planète, en comptant les 2500 têtes dites « tactiques » – conçues pour frapper des cibles sur de courtes distances – remises à la Russie en 1993. En contrepartie, l’Ukraine deviendra durant 2 ans l’un des principaux récipiendaires de l’aide financière américaine. Le 3 décembre 1994, la signature lors du mémorandum de Budapest, prévoyait le respect par la Russie de l’intégrité territoriale de l’Ukraine, en échange de son renoncement à l’arsenal nucléaire. Kiev souhaitait que les Etats-Unis lui apportent des « garanties » de sécurité. Celles-ci auraient impliqué un engagement des forces américaines en cas de violation de la souveraineté ukrainienne. Mais Washington a juste obtenu que le mémorandum fasse mention d’« assurances », sans contraintes.

L’Ukraine subissait également une grave crise économique – PIB en chute libre, inflation galopante (4700% en 1993), déficit – et ne pouvait se passer de l’aide des Occidentaux. Face à l’Ukraine, les Etats-Unis étaient déterminés à ce qu’il n’y ait, après l’éclatement de l’URSS, qu’une seule puissance nucléaire post-soviétique, la Russie. De son côté, le Kremlin faisait pression sur Kiev, où les mentalités politiques étaient majoritairement pro-russes et ne se doutaient pas la Russie deviendrait l’ennemi de l’Ukraine.

En 1993, dans Foreign Affairs, John Mearsheimer, chercheur en relations internationales, appelle à « s’assurer que les Russes qui, historiquement entretiennent de mauvaises relations avec l’Ukraine, ne tentent de la reconquérir ». Et fait valoir que « les armes nucléaires ukrainiennes sont le seul moyen fiable pour dissuader une agression russe ». Certes, le contrôle des têtes nucléaires s’effectuait alors à Moscou et l’Ukraine ne pouvait lancer, seule, ses missiles intercontinentaux. Mais une partie du complexe militaro-industriel atomique de l’URSS se trouvait sur son territoire. « Les premières bombes atomiques de l’URSS avaient été développées ici, rappelle Yuri Kostenko. Ce n’était qu’une question de volonté politique ».

Erreur historique de l’Ukraine

Aujourd’hui, l’Ukraine nourrit d’intenses regrets. « Le désarmement nucléaire était une erreur historique », selon le secrétaire du Conseil national de sécurité et de défense, Oleksandr Tourtchynov, après l’annexion de la Crimée par la Russie, en 2014. L’invasion du 24 février 2022 a ensuite ébranlé jusqu’à Bill Clinton « je me sens personnellement concerné parce que j’ai convaincu les Ukrainiens de renoncer à leurs armes nucléaires. Et aucun d’entre eux ne croit que la Russie aurait fait ce coup si l’Ukraine les avait encore ». Quelques mois après le début de la guerre, 53% des Ukrainiens se disaient favorables au réarmement nucléaire, contre 27% une décennie plus tôt.

Les mentalités changent. Mieux vaut, aujourd’hui, être dans l’Otan qu’en dehors. Jusqu’alors favorables au désarmement, la Finlande et la Suède ont motivé leur choix de rejoindre l’Alliance atlantique par l’accès au parapluie nucléaire américain. Le bouleversement de l’ordre nucléaire provoqué par la Russie n’en est qu’à ses débuts.

Stratégie militaire russe :

« Pour être acceptée comme paradigme, écrit Kuhn, une théorie doit sembler meilleure que ses concurrentes, mais il n’est pas nécessaire qu’elle explique tous les faits auxquels elle est confrontée et, de fait, elle n’y parvient jamais ».

Doctrine Poutinienne

Selon la doctrine Poutinienne, les armes nucléaires russes pourraient être employées si des armes de destruction massive sont utilisées contre la Russie ou si « l’existence même de l’Etat » est menacée par une agression militaire. « Il ne peut y avoir de vainqueur dans une guerre nucléaire et elle ne doit jamais être déclenchées », a ainsi répété le président russe en août 2022, avec l’objectif de passer pour un dirigeant responsable. Souffler le chaud, puis le froid. Souffler le chaud, puis le froid. Vladimir Poutine poursuit une logique de réaffirmation de la puissance nucléaire russe, montée d’un cran avec l’invasion de l’Ukraine.

Renforcement de l’arsenal militaire chinois

A l’ouest de la ville de Yumen, la Chine a bâti au début de la décennie un champ de plus de 120 silos, susceptibles d’accueillir ses missiles nucléaires intercontinentaux DF-41, dont la portée de plus de 12 000 km place sous leur menace Los Angeles et Washington.

Un 2ème champ, près de la ville de Hami, au Xinjiang, en compte 110, et un dernier 90, près de Yulin, en Mongolie-Intérieure – plus de 320 silos contre une vingtaine en 2020, soit davantage que la Russie. Portée par l’ambition de devenir la 1ère puissance du monde, la Chine mène une expansion colossale de son arsenal nucléaire. Un rapport du Congrès américain estime qu’elle dispose déjà de plus de 500 têtes nucléaires opérationnelles et en aura « probablement plus de 1000 d’ici à 2030 ». Soit un triplement possible de ses capacités en une décennie. A cela s’ajoute une composante navale, qui pourrait passer à 8 sous-marins nucléaires lanceurs d’engins JL-3.

montée des tensions géopolitiques à l’échelle mondiale

La Russie poursuit la modernisation des composantes maritimes et terrestres de sa dissuasion. Elle arme chaque année de nouveaux sous-marins lanceurs d’engins, tandis que son dernier missile intercontinental, le Sarmat-SS-X-30, selon la terminologie de l’OTAN – a été mise en service à l’été 2023. « La Russie en revient à une logique de diversification de ses armes, comme du temps de la guerre froide », selon les experts.

Quelques semaines après l’annexion de la Crimée, le président américain Barack Obama avait qualifié la Russie de « puissance régionale qui met en difficulté ses voisins non du fait de sa force, mais de sa faiblesse ». Ce déni de statut de grande puissance a été ressenti comme un affront par Poutine. « Personne ne voulait nous parler, personne ne voulait nous écouter », a répondu Poutine, 4 ans plus tard, en présentant ses nouvelles armes nucléaires « invincibles ». Avant d’ajouter : « Ecoutez maintenant ». Aujourd’hui, le président russe a obtenu ce qu’il voulait.

Depuis la guerre froide, les Etats-Unis se sont lancés dans un programme de modernisation titanesque de leur triade nucléaire. 1 500 milliards de dollars doivent permettre de remplacer tous les sous-marins Ohio, quarantenaires, par des SNLE nouvelle génération et tous les vieux Minuteman stationnés dans des silos disséminés dans le Wyoming, le Montana et le Dakota du Nord par des missiles Sentinelle. Et, aussi, d’ajouter à sa flotte aérienne des bombardiers à la furtivité sans égale, les B-21 (700 millions de dollars pièce).

Cette triade a pour rôle de transporter les 1770 ogives nucléaires déployées par les Etats-Unis en 2024, selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, contre 1710 pour la Russie. Au niveau des cercles stratégiques, les experts plaident pour faire grossir l’arsenal nucléaire américain. « Les planificateurs qui font du ciblage souhaitent disposer d’un nombre suffisant d’armes pour répondre à toutes celles des adversaires », selon les experts. Qu’une frappe nucléaire puisse venir en riposte à une autre, et ainsi de suite. Des solutions intermédiaires sont ainsi envisagées : « Pour dissuader les Chinois, en plus des Russes, la réponse pourrait être plus qualitative. Nous disposons de 3 700 ogives en réserve, il sera possible d’en augmenter le nombre dans les missiles sans augmenter le stock global ».

Le dernier accord de limitation des armements entre la Russie et les Etats-Unis, New Start, expire en février 2026. Vladimir Poutine a déjà suspendu sa mise en œuvre. Le traité de désarmement sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (500 à 5 500 km), signé du temps de la guerre froide, a pris fin en 2019. Et au début de l’été, le président russe a annoncé que la Russie « devrait commencer à produire de tels systèmes de frappes ». En novembre 2023, il a aussi révoqué la ratification russe du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (négocié et adopté en 1996, mais jamais entré en vigueur), sous prétexte que les Etats-Unis ne l’avaient jamais entériné – pas plus que la Chine.

L’ère du choc des civilisations :

Visions du monde et théories causales sont des guides indispensables en politique internationale. Nous pouvons formuler explicitement des théories et des modèles et les utiliser de manière réfléchie pour guider notre comportement.

Fernand Braudel, « « pour toute personne qui s’intéresse au monde contemporain et à plus forte raison qui veut agir sur ce monde, il est « payant » de savoir reconnaitre sur une mappemonde quelles civilisations existent aujourd’hui, d’être capable de définir leurs frontières, leur centre et leur périphérie, leurs provinces et l’air qu’on y respire, les formes générales et particulières qui existent et qui s’associent en leur sein. Autrement, quelle catastrophique confusion de perspective pourrait s’ensuivre ».

Selon Henry Kissinger, « Le système international du 21ème siècle, comportera au moins 6 grandes puissances – les Etats-Unis, l’Europe, la Chine, le Japon, la Russie et probablement l’Inde -, plus un grand nombre de pays moyens et petits ». Les 6 grands puissances selon Henry Kissinger appartiennent en fait à 5 civilisations très différentes. En plus, la situation stratégique, la démographie, et les ressources pétrolières de certains Etats musulmans importants rendent ces derniers très influents. Ains, dans le monde nouveau qui est le nôtre, la politique locale est ethnique et la politique globale est civilisationnelle. La rivalité entre grandes puissances est remplacée par le choc des civilisations.

Exemple : Au cours des guerres yougoslaves, la Russie a apporté son soutien diplomatique aux Serbes, tandis que l’Arabie Saoudite, la Turquie, l’Iran et la Libye fournissaient de l’argent et des armes aux Bosniaques, non pas pour des raisons idéologiques, politiques ou économiques, mais par affinité culturelle. « Les conflits culturels, faisait observer Vaclav Havel, se développent et deviennent plus dangereux que jamais. De même, pour Jacques Delors, « les conflits à venir seront provoqués par des facteurs culturels plutôt qu’économiques ou idéologiques ». Et les conflits culturels les plus dangereux sont ceux qui ont lieu aux lignes de partage entre civilisations. Dans le monde d’après la guerre froide, la culture est une force de division et d’unité.

La fin de la guerre froide a pu sembler signifier la fin des conflits importants et l’émergence d’un monde relativement harmonieux. Francis Fukuyama, énoncé la thèse de « la fin de l’histoire ». Selon Fukuyama, nous pourrions la définir en ces termes : « Nous avons atteint le terme de l’évolution idéologique de l’humanité et de l’universalisation de la démocratie libérale occidentale en tant que forme définitive de gouvernement ». Certains conflits auront lieu dans le Tiers-Monde, mais c’en est fini des guerres mondiales, et pas seulement en Europe. « C’est précisément dans le monde non européen » que de grands changements se sont produits, en particulier en Chine et en Union soviétique. La guerre des idées est achevée.

L’euphorie qui a suivi la fin de la guerre froide a engendré l’illusion d’une harmonie. Le monde est effectivement devenu différent au début des années 1990, mais il n’est pas devenu pacifique pour autant. La Première Guerre mondiale était la « der des ders » et avait servi à instaurer la démocratie. La Seconde Guerre mondiale, comme l’a dit Franklin Roosevelt, « mettrait fin au système fondé sur l’action unilatérale, les alliances exclusives, l’équilibre des forces et tous les autres expédients qui ont été essayés pendant des siècles… et qui ont échoué ». A la place, nous aurions une « organisation universelle » composées de « nations pacifiques » et instaurant une « structure permanente de paix ». La Première Guerre mondiale, toutefois, a engendré le communisme, le fascisme et a inversé la tendance séculaire de la démocratie. La Seconde Guerre mondiale, quant à elle, a suscité la guerre froide, et ce à l’échelle mondiale. L’illusion d’harmonie qui s’est répandue à la fin de la guerre froide a vite été dissipée par la multiplication des conflits ethniques et des actions de « purification ethnique », par l’affaiblissement généralisé de la loi et de l’ordre, par l’émergence de nouvelles structures d’alliances et de conflits entre Etats, par la résurgence de mouvements néocommunistes et néofascistes, par le durcissement du fondamentalisme religieux.

Paradigme civilisationnel

Les civilisations durent, mais elles évoluent aussi. Elles sont dynamiques ; elles naissent et meurent ; elles fusionnent et se divisent. Les civilisations évoluent en passant d’une période de troubles ou de conflits à l’installation d’un Etat universel, avant de connaitre le déclin et la désintégration.

Soit le monde est un, soit il est dual, soit il est divisé en 184 Etats, soit il est atomisé en un nombre potentiellement infini de tribus, de groupes ethniques et de nationalités. Considérer que le monde est formé de 7 ou 8 civilisations permet d’éviter nombre de ces difficultés.

Selon le paradigme étatique, John Mearsheimer a ainsi soutenu que « la situation entre la Russie et l’Ukraine est mûre pour qu’éclate entre elles un conflit de sécurité. De grandes puissances que ne sépare pas une longue frontière naturelle, comme c’est le cas pour l’Ukraine et la Russie, craignent pour leur sécurité et en viennent donc souvent à devenir concurrentes. La Russie et l’Ukraine devraient dépasser cette dynamique et apprendre à vivre en harmonie, mais il serait étonnant qu’elles y parviennent ». L’approche étatique évoque la possibilité d’une guerre russo-ukrainienne, l’approche civilisationnelle montre qu’elle est peu vraisemblable dû aux liens culturels, personnels et historiques qui unissent la Russie et l’Ukraine et le mélange de Russes et d’Ukrainiens qui vivent dans les 2 pays. Les prédictions de Mearsheimer quant à une possible guerre de conquête de l’Ukraine par la Russie le conduisent à approuver le fait que l’Ukraine dispose d’armes atomiques.

Etats-Unis : puissance globale

Une guerre est rythmée par deux sortes de mouvements : la surprise et l’absence de surprise. Pour le stratège comme pour le combattant du front, la surprise est souvent la clé qui donne une chance de succès, tandis que le mouvement lent et prévisible ne peut être que source d’inquiétude.

Depuis que les relations internationales ont commencé à s’étendre à l’échelle de la planète tout entière, voilà environ 500 ans, le continent eurasien a constitué le foyer de la puissance mondiale.

Dans la dernière décennie du 20ème siècle, un glissement tectonique s’est produit dans les affaires du monde : pour la première fois, une puissance extérieure au continent s’est non seulement élevée au rang d’arbitre des relations entre les Etats d’Eurasie, mais aussi de puissance globale dominante. La défaite et la chute de l’Union soviétique ont parachevé l’ascension rapide des Etats-Unis comme seule et, de fait première puissance mondiale.

Une grande partie de la puissance économique et politique de la planète est encore concentrée sur sa périphérie occidentale – en Europe. A l’autre extrémité, l’Asie est devenue, en peu de temps, un foyer dynamique de croissance économique, de plus en plus influent politiquement.

L’Eurasie reste l’échiquier sur lequel se déroule la lutte pour la primauté mondiale. Pour y participer, il est nécessaire de se doter d’une ligne géostratégique, c’est-à-dire de définir une gestion stratégique de ses intérêts géopolitiques.

Il aura fallu moins d’un siècle aux Etats-Unis, dont le rayonnement était jusqu’alors cantonné à l’hémisphère occidental, pour se transformer – sous l’influence de la dynamique des relations internationales – en une puissance dont le poids et la capacité d’intervention sont sans précédent.

Le développement rapide du pays nourrit ses ambitions géopolitiques de plus en plus grandes. Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, son économie, en pleine expansion, représente 33% du PNB mondial. L’Amérique a déjà ravi à la Grande-Bretagne sa place de première puissance industrielle. Ce dynamisme économique exceptionnel est encouragé par une culture qui favorise l’innovation et l’expérimentation. En matière de relations internationales, l’Amérique a privilégié l’isolationnisme, concept d’île continentale sur lequel se fonde la sécurité du pays : la doctrine militaire se résume à la protection des façades océaniques, selon une perspective étroitement nationale, et accorde une place négligeable aux préoccupations internationales ou globales. Sur la scène mondiale, les puissances européennes et, de plus en plus, le Japon restent les acteurs de premier plan.

Analogie avec l’empire romain 

On peut faire une analogie entre les Etats-Unis et l’empire romain. Le facteur psychologique important contribuait aussi à la puissance impériale aucune affirmation d’identité ne pouvait rivaliser avec le civis romanus sum (« Je suis un ciotyen romain »), source de fierté et d’aspiration pour beaucoup. Finalement concédé aux sujets non romains de naissance, le statut convoité de citoyen exprimait une supériorité culturelle qui faisait de l’expansion de l’empire une véritable mission. Partout où elle s’imposait, la loi de Rome trouvait ainsi sa légitimité et incitait ceux qui la subissaient à désirer l’assimilation dans les structures impériales. La supériorité culturelle – évidente aux yeux des maîtres et admise par les sujets – renforçait l’ordre établi. Cette puissance suprême et largement incontestée perdura 3 siècles environ.

Cependant, trois raisons essentielles ont causé l’effondrement de l’empire romain. Tout d’abord, il est devenu trop vaste pour être gouverné par un centre unique. La partition entre Orient et Occident a remis en question le caractère monopolistique de sa puissance. Deuxièmement, une longue période tumultueuse à la tête de l’empire, en encourageant l’hédonisme culturel, a sapé la volonté de grandeur de l’élite politique. Troisièmement, l’inflation continue a entamé la capacité du système à s’autoentretenir, alors que les citoyens n’étaient plus préparés à accepter les sacrifices sociaux devenus indispensables. La décadence culturelle, les divisions politiques et l’inflation ont concouru à rendre l’empire vulnérable, même vis-à-vis des barbares qu’il avait su, alors, contenir.

Selon nos critères, Rome représentait une puissance régionale, pas un empire global. Cependant, selon la perception du monde qui prévalait alors, ce pouvoir auto-suffisant, isolé, ne se connaissait pas de rival, immédiat ou distant. Tirant sa supériorité de son organisation politique et de sa culture, l’empire romain était un monde en soi, préfigurant ainsi les systèmes impériaux qui se sont déployés par la suite sur une plus grande échelle.

Fracture entre le Sud Global et l’Occident 

Nous sommes entrés dans un monde d’influence. Dans un premier temps, le retour des sphères d’influence, c’est-à-dire la revendication, par des puissances données, d’un espace où elles seraient reconnues comme acteurs de référence au nom d’une histoire, d’un héritage linguistique, culturel, parfois religieux. Dans un deuxième temps, il y a aussi l’influence au sens où l’on vise à changer le comportement d’acteurs, d’Etats, d’opinion publiques, sans utiliser la force. Enfin, il y a le modèle de la croyance rémunérée, qui consiste à utiliser d’immenses ressources financières pour entretenir des réseaux religieux, qui canaliseront l’action de populations bien précises. Ces techniques d’influence, comme autant de stratégies indirectes, peuvent être bien plus efficaces qu’une invasion militaire pour prendre le contrôle d’un espace, ou faire triompher des intérêts.

Craquèlement du monde : trois dimensions

Il faut dissocier 3 dimensions. La première est l’enchevêtrement de crises à l’intérieur de nombre d’Etats, dans le sillage de la problématique des Etats « faillis » ou « effondrés », pensée à partir des années 1990. Les crises se sont accrues, dans un monde toujours plus interdépendant, et les efforts internationaux de « construction d’Etats » ont échoué. De plus, nombre de pays, démocratiques connaissent aujourd’hui des tensions internes et des formes de polarisation qui contrastent avec les apparentes stabilisations construites à partir des années 1950. La deuxième dimension est l’affirmation de puissances qui semblent utiliser des recettes du passé : Etat autoritaire sous la houlette d’un homme fort ; monopole du récit national et instrumentalisation de l’histoire ; ambitions internationales assumées, au nom de prétendues humiliations passées, d’une identité exceptionnelle, et de nécessités de sécurité et de statut. Il en est ainsi de la Chine, de la Russie, de l’Inde, de la Turquie et autres puissances du Moyen-Orient, anciennes (Iran) ou nouvelles (dans le Golfe).

La troisième dimension est l’épuisement possible des cadres permettant de limiter les conflits. On ne saura jamais combien de guerres ont été empêchées par l’anticipation de réactions internationales, et par toutes les formes de médiations et d’investissement de la « communauté internationale ».

Dichotomie Sud Global et Occident

Le 15 novembre 2023, près de San Francisco (Californie) Joe Biden et son homologue chinois Xi Jinping se sont réunis. Le président chinois Xi Jinping a déclaré que « la planète Terre est assez grande pour que les deux pays prospèrent » évoquant « la relation bilatérale la plus importante du monde ».

Le Sud global, en particulier dans le monde arabe, dénonce le « deux poids, deux mesures » dans la conduite des affaires du monde. Ainsi lors d’une réunion d’urgence au Caire, 2 semaines après le déclenchement de la guerre, le roi Abdallah II de Jordanie met les Occidentaux face à leurs contradictions : « N’importe où ailleurs, le monde aurait condamné le ciblage des infrastructures civiles et la privation délibérée de la population de nourriture, d’eau, d’électricité et de besoins de base, et l’auteur de ces actes aurait certainement été immédiatement tenu pour responsables ».

Au fil des résolutions sur la question adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies, ce sont les Etats-Unis, opposés à l’idée d’un cessez-le-feu, qui paraissent isolés dans leur soutien à Israël, tandis que la Russie vote avec la majorité pour appeler à la fin des combats dans l’enclave palestinienne. Lors du dernier G20, en septembre à New Delhi, les pays des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) ont ainsi refusé toute condamnation de Moscou, contre l’avis des Occidentaux.

 

 

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