Le président américain Joe Biden ne rentre pas dans le moule d’un joueur à haut risque. Pourtant, le jeu est au cœur de ses relations avec Israël. Avec un œil sur la politique israélienne et l’autre sur les élections présidentielles aux États-Unis dans six mois, M. Biden marche sur une corde raide.
Les enjeux et les coûts ne pourraient pas être plus élevés.
À la base, malgré l’escalade des critiques verbales de l’administration à l’égard du Premier ministre Benyamin Netanyahu et la suspension d’une livraison d’armes à Israël, M. Biden s’en tient à son approche de l’étreinte envers Israël avec une torsion plutôt que de prendre des mesures coercitives qui pourraient forcer la main de M. Netanyahu.
Le refus de l’administration d’approuver une offensive terrestre israélienne à grande échelle dans l’enclave de Rafah, au sud de Gaza, la critique des tactiques de guerre de M. Netanyahu qui n’ont pas réussi à détruire le Hamas et l’insistance du Premier ministre à ne pas planifier une administration d’après-guerre de la bande de Gaza, et une coordination étroite avec les rivaux de M. Netanyahu dans son cabinet de guerre et l’opposition, vise à resserrer l’étau autour du cou du dirigeant israélien.
La stratégie, lancée début avril avec la visite du chef de l’opposition Yair Lapid à Washington, a peut-être commencé à produire des résultats.
Dans l’assaut le plus frontal à ce jour contre les politiques de M. Netanyahu au sein du cabinet du Premier ministre, le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, a publiquement mis au défi cette semaine le Premier ministre de présenter un plan pour l’administration d’après-guerre de Gaza et de désavouer le régime militaire israélien de la bande ravagée par la guerre.
Faisant écho à des responsables militaires non identifiés cités dans les médias israéliens, M. Gallant a averti qu’en l’absence de planification israélienne pour le jour où les armes se tairont à Gaza, « il ne reste que deux options négatives : le régime du Hamas à Gaza ou le régime militaire israélien ».
Les responsables militaires ont insisté sur le fait que leur incapacité à détruire le Hamas et la capacité du groupe à refaire surface dans les parties de Gaza évacuées par les troupes israéliennes était due au refus de M. Netanyahu d’élaborer une stratégie pour le jour où la guerre se terminerait.
Soutenu par l’administration Biden et soutenu par son collègue membre du cabinet de guerre, Benny Gantz, M. Gallant a déclaré qu’il s’opposait à la domination israélienne. M. Gallant a exigé que M. Netanyahu renonce publiquement à l’administration israélienne de la bande de Gaza.
« J’appelle le Premier ministre Benjamin Netanyahu à prendre une décision et à déclarer qu’Israël n’établira pas de contrôle civil sur la bande de Gaza, qu’Israël n’établira pas de gouvernance militaire dans la bande de Gaza et qu’une alternative gouvernementale au Hamas dans la bande de Gaza sera immédiatement proposée », a déclaré M. Gallant.
Un haut responsable américain s’est empressé de dire que l’administration Biden « partage l’inquiétude du ministre de la Défense Gallant selon laquelle Israël n’a élaboré aucun plan pour tenir et gouverner le territoire que l’armée israélienne nettoie, permettant ainsi au Hamas de se régénérer dans ces zones. C’est une préoccupation parce que notre objectif est de voir le Hamas vaincu. »
L’armée israélienne « dispose d’armes pour les missions qu’elle prévoit. Et aussi pour les missions à Rafah, nous avons les armes dont nous avons besoin« , a déclaré le porte-parole militaire Daniel Hagari.
Malgré cela, la soumission par M. Biden au Congrès d’un paquet d’armes d’un milliard de dollars pour Israël visait à apaiser les inquiétudes de l’armée israélienne et à encourager les hauts commandants à tenir tête à M. Netanyahu et à apaiser les critiques pro-israéliens du président, notamment les donateurs et les membres de son Parti démocrate ainsi que les électeurs pro-israéliens potentiellement indécis.
La majeure partie des armes, y compris les munitions des chars, les véhicules tactiques et les obus de mortier, n’ont pas encore été produites et ne seront pas livrées avant des mois au plus tôt.
Au cœur du différend sur la planification d’après-guerre se trouve une pierre angulaire de toute résolution future du conflit israélo-palestinien : l’autonomie et l’indépendance palestiniennes, une notion que M. Netanyahu rejette.
Dans des déclarations séparées ces derniers jours, M. Netanyahu a insisté sur le fait que la création d’un État palestinien aux côtés d’Israël « serait une récompense pour les terroristes » et qu’il « ne remplacerait pas Hamastan par le Fatahstan », une référence à Al Fatah, l’épine dorsale de l’Autorité palestinienne du président Mahmoud Abbas, basée en Cisjordanie et internationalement reconnue.
M. Netanyahu a insisté pour qu’Israël maintienne indéfiniment le contrôle de la sécurité de Gaza et de la Cisjordanie et a fait valoir qu’il ne servait à rien d’élaborer un plan d’après-guerre avant que le Hamas ne soit complètement vaincu.
« L’indécision est, par essence, une décision. Cela conduit à une voie dangereuse, qui promeut l’idée d’une gouvernance militaire et civile israélienne à Gaza », a déclaré M. Gallant.
Un assistant de M. Gallant a averti que « cette trajectoire actuelle sert les intérêts des éléments les plus radicaux du gouvernement israélien – (le ministre de la Sécurité nationale) Itamar Ben Gvir et (le ministre des Finances) Betzalel Smotrich – qui fantasment sur le contrôle total d’Israël sur Gaza et la reconstruction des colonies ».
Pour faire valoir ce point, M. Ben Gvir a déclaré cette semaine à des milliers de colons israéliens : « Nous, au Cabinet, exigeons la guerre maintenant. Demande d’entrer à Rafah. Exigez des assassinats ciblés… Sans libération de Gaza, il n’y aura pas de solution. La solution est de rentrer chez soi… en Terre d’Israël… libérer, coloniser et aussi léguer. (Gaza) a toujours été à nous et restera à nous.
Contrairement à MM. Netanyahu et Ben Gvir, MM. Galant et Gantz, ainsi que l’administration Biden et l’écrasante majorité de la communauté internationale, sont favorables à la prise de contrôle de Gaza par l’Autorité palestinienne.
Malgré la perte de crédibilité de l’Autorité sous M. Abbas aux yeux des Palestiniens, le contrôle de Gaza recréerait la bande de Gaza et la Cisjordanie en une seule entité sous administration palestinienne qui pourrait évoluer vers un État palestinien indépendant.
Cela pourrait également contribuer à ouvrir la voie à une éventuelle participation arabe à une éventuelle force internationale de maintien de la paix à Gaza et à des négociations pour résoudre le conflit israélo-palestinien.
L’administration Biden espère que cela ouvrira la porte à un méga-accord au Moyen-Orient impliquant la reconnaissance saoudienne d’Israël et une coopération militaire et nucléaire plus étroite entre les États-Unis et l’Arabie saoudite.
En pariant sur sa capacité à resserrer l’étau autour du cou de M. Netanyahu, M. Biden ne risque pas seulement ses chances de remporter un second mandat.
Même si Israël a réduit son taux de mortalité à Gaza huit mois après le début de la guerre de Gaza, des dizaines de Palestiniens paient encore chaque jour le prix ultime pour le refus d’Israël de mettre fin à la guerre et l’échec de M. Biden à mettre le pied à terre fermement.
En outre, même si M. Biden réussit à acculer M. Netanyahu, les successeurs potentiels du Premier ministre, qu’il s’agisse de M. Gallant, de M. Gantz ou de M. Lapid, envisagent une future entité palestinienne émasculé.
On est loin des aspirations palestiniennes à un État pleinement indépendant et exerçant une pleine souveraineté sur son territoire.
Certes, saper M. Netanyahu est une entreprise qui en vaut la peine. Malgré cela, M. Biden pourrait découvrir que son pari pourrait produire des résultats qui n’en valaient pas la peine.