Dans le cadre d’une initiative visant à consolider les liens entre la Russie et les nations africaines, le Sommet Russie-Afrique s’est imposé comme un rendez-vous incontournable. Le premier sommet, qui s’est tenu à Sotchi en octobre 2019, a vu la participation de plus de quarante dirigeants africains. Dans la continuité de cet élan, la Russie a convié à nouveau les leaders africains à Saint-Pétersbourg les 27 et 28 juillet 2023, dans un climat marqué par des tensions géopolitiques accrues et une vague de sanctions internationales.
L’affluence des chefs d’État et de gouvernement à ce dernier sommet a été considérablement moindre par rapport à celle de Sotchi. Seuls dix-sept dirigeants, y compris les chefs des juntes militaires du Mali et du Burkina Faso – malgré leur suspension des instances panafricaines – ont accepté l’invitation. Contrairement à la perception occidentale qui tend à ostraciser ces régimes militaires, à l’image du Tchad, la Russie adopte une approche différente, ne les considérant pas comme des entités infréquentables.
Les récents bouleversements géopolitiques ont transformé le continent africain en un théâtre stratégique de premier ordre, suscitant l’intérêt des grandes puissances établies et émergentes. Ces dernières se livrent à une compétition acharnée, marquée par une présence militaire accrue, l’implantation de sociétés d’envergure et l’organisation de sommets unilatéraux visant à courtiser l’ensemble du continent. Face à ces invitations, les chefs d’État africains se montrent empressés de répondre présents.
Ce paradoxe est d’autant plus frappant que l’Afrique, bien que considérée comme le continent le plus pauvre de la planète, recèle des richesses considérables et largement sous-exploitées. Avec 60% des terres arables mondiales et des ressources humaines et énergétiques abondantes, l’Afrique ne représente pourtant que moins de 3% du commerce mondial. Ce potentiel en fait un marché colossal encore à conquérir. La détérioration des relations entre la Russie et les pays occidentaux, exacerbée par la crise ukrainienne et les sanctions européennes et internationales, positionne les pays africains comme une opportunité pour la Russie d’accroître son influence et de trouver de nouveaux alliés, notamment au sein de l’ONU.
Nouvelle offensive en Afrique
La relation historique entre Moscou et l’Afrique remonte aux années 1960, époque où l’Union Soviétique jouait un rôle actif sur le continent. Elle a apporté son soutien à divers mouvements de libération, tels que le Congrès national africain (ANC) en Afrique du Sud, le Mouvement populaire pour la libération de l’Angola (MPLA), le Front de libération du Mozambique (FRELIMO) et l’Union du peuple africain du Zimbabwe (ZAPU). Les relations entre l’Afrique et Moscou étaient alors diversifiées, certains dirigeants des années 1970 ayant opté pour une alliance avec le bloc de l’Est, à l’instar de Mathieu Kérékou du Bénin, Agostinho Neto de l’Angola ou Samora Machel du Mozambique.
L’Université de l’amitié des peuples de Russie, baptisée Patrice Lumumba en 1961 en hommage au héros indépendantiste congolais, a joué un rôle clé dans la formation de milliers de cadres africains durant la guerre froide. Après le sommet de Sotchi, l’université a retrouvé le nom de Patrice Lumumba, une décision du président Poutine visant à insuffler une nouvelle dynamique aux relations russo-africaines.
Le début des années 1990 a marqué un tournant décisif dans les relations entre Moscou et l’Afrique. La chute du mur de Berlin en 1989, suivie de l’effondrement de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS), a entraîné une perte d’influence pour Moscou, au profit de la Chine et des États-Unis. En conséquence, la Russie a réduit son emprise diplomatique sur le continent dès 1992, se concentrant sur ses transformations internes.
Le sommet de Sotchi en 2019 a signalé le retour en force de la Russie en Afrique, et son influence n’a cessé de croître, notamment à travers la société paramilitaire Wagner, la vente d’armes et une diplomatie très active. La Russie est désormais le premier exportateur d’armes sur le continent, avec plus de 40 % des importations d’armes en Afrique entre 2018 et 2022, devançant la Chine, la France et les États-Unis, selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI).
Présence russe et lutte d’influence
La présence russe en Afrique s’est intensifiée ces dernières années, accompagnée d’une lutte d’influence avec d’autres acteurs internationaux, en particulier dans les pays de l’Afrique subsaharienne, traditionnellement considérés comme le domaine réservé de la France. À la différence de certains pays occidentaux, la Russie n’a pas de passé colonial avec l’Afrique et adopte une position moins intransigeante sur les questions d’État de droit, de démocratie et de droits de l’Homme.
Moscou tient des discours anti-occidentaux et anti-coloniaux qui trouvent un écho favorable auprès d’une partie de l’opinion publique ouest-africaine. Malgré les liens historiques étroits entre la France et plusieurs pays africains, dus à un passé colonial commun, la Russie s’efforce d’élargir sa présence dans la région afin de diversifier ses partenariats et de contester l’influence traditionnelle de la France.
Dans un contexte marqué par les coups d’État, la lutte contre le terrorisme, les conflits et les tensions avec certains partenaires traditionnels, la Russie apparaît comme une alternative pour les chefs d’État isolés. Le président centrafricain, Faustin-Archange Touadéra, s’est ainsi tourné vers la Russie après son élection pour contourner les sanctions onusiennes sur la Centrafrique, qui interdisaient l’achat d’armement par le pays ainsi que toute assistance technique et aide financière liée aux activités militaires.
Lors de manifestations de plus en plus fréquentes dans certains pays de l’Afrique de l’Ouest, des drapeaux russes sont brandis par la foule. En Afrique, et plus précisément au Sahel, la Russie tire parti du rejet de la politique française par une bonne partie de l’opinion publique, en raison du passé colonial, de la Françafrique, mais également de l’échec de la présence militaire française dans la lutte contre le terrorisme qui se propage dans la région.
Il est à noter que depuis le coup d’État de mai 2021 qui a porté le colonel Assimi Goïta au pouvoir au Mali, la coopération diplomatique et militaire avec Moscou s’est intensifiée, avec la présence d’instructeurs russes aux côtés des forces armées maliennes (FAMa), considérés comme des éléments de Wagner par plusieurs pays occidentaux. Les autorités de transition, quant à elles, réfutent cette affirmation et évoquent la présence d’instructeurs militaires dans le cadre d’un accord bilatéral avec la Russie, au même titre que la mission de formation de l’Union européenne (EUTM). Plusieurs livraisons d’équipements militaires ont été effectuées. Le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, s’est rendu à Bamako en février 2023, une première pour un chef de la diplomatie russe.
En novembre 2022, des centaines de personnes ont manifesté à Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso, pour réclamer le départ de l’opération française « Sabre » et le renforcement des relations avec la Russie. Le Premier ministre burkinabè, Kyélem Apollinaire de Tambela, a effectué un voyage secret à Moscou qui aurait été facilité par Bamako en décembre 2022.
Les implications économiques
L’expansion de l’influence russe en Afrique ne se limite pas à la sphère politique ou militaire ; elle s’étend également à des dimensions économiques significatives. La Russie, consciente du potentiel inexploité du continent africain, s’emploie à renforcer ses liens économiques avec les pays africains, notamment dans les secteurs clés tels que les ressources naturelles, l’énergie et les infrastructures.
La Russie a identifié l’Afrique comme un marché émergent crucial pour ses exportations, en particulier pour ses armements, mais aussi pour ses entreprises publiques et privées dans les domaines de l’énergie, de l’exploitation minière et des infrastructures. Le sommet de Sotchi en 2019 a été un catalyseur pour de nombreux accords bilatéraux, ouvrant la voie à des investissements russes dans des projets d’extraction de minerais, de développement pétrolier et gazier, et de construction d’infrastructures.
Le commerce bilatéral entre la Russie et les pays africains a connu une croissance, bien que partant de niveaux relativement bas comparés à d’autres puissances. La Russie cherche à diversifier ses partenaires commerciaux, en partie en réponse aux sanctions occidentales, et voit dans l’Afrique un marché prometteur pour ses produits industriels, agricoles et technologiques.
Les entreprises russes sont de plus en plus présentes en Afrique, exploitant des ressources telles que l’or, les diamants, le platine, et d’autres minéraux stratégiques. La société paramilitaire Wagner, souvent mentionnée pour son rôle sécuritaire, est également impliquée dans l’exploitation de ressources naturelles, offrant à la Russie un accès direct à ces richesses.
En outre, la Russie offre son expertise dans le domaine de l’énergie nucléaire, avec des projets de construction de centrales nucléaires en Égypte et ailleurs, promettant une énergie propre et fiable pour soutenir le développement industriel de l’Afrique.
La stratégie russe en Afrique est également marquée par une approche pragmatique qui privilégie les relations économiques sans imposer de conditions liées aux droits de l’homme ou à la gouvernance démocratique. Cette approche attire les dirigeants africains qui cherchent des alternatives aux partenaires occidentaux traditionnels, souvent perçus comme paternalistes ou moralisateurs.
La présence économique russe en Afrique a des implications pour la dynamique géopolitique mondiale. Elle offre aux pays africains des options supplémentaires pour le financement et le développement, tout en permettant à la Russie de contester l’influence occidentale et chinoise sur le continent.
Cependant, cette influence croissante suscite des inquiétudes quant à la transparence des accords et à la durabilité des projets. Les critiques soulignent le risque de dépendance accrue des pays africains envers la Russie et la possibilité que les ressources africaines soient exploitées sans apporter de bénéfices significatifs aux populations locales.