Le continent africain se trouve à un tournant dans le secteur mondial de l’énergie, avec d’abondantes réserves de pétrole et de gaz offrant un immense potentiel de croissance économique. Toutefois, malgré ce potentiel très prometteur, le secteur pétrolier et gazier en amont d’Afrique s’accompagne d’une kyrielle de risques et de revers potentiels qui exigent un examen attentif et une planification stratégique. Cette situation s’inscrit dans un contexte de réduction des capitaux internationaux pour les développements pétroliers et gaziers à forte intensité de carbone et de concurrence accrue pour les mêmes sources de capital. Des solutions de financement innovantes sont donc requises pour combler ce vide, mais ne peuvent véritablement être couronnées de succès que si elles sont adaptées à des besoins spécifiques et adoptées et respectées par l’ensemble des parties prenantes.
Plus grand producteur de pétrole d’Afrique, le Nigeria incarne toutes les complexités et opportunités du secteur énergétique du continent. Au cours de la décennie écoulée, l’industrie pétrolière et gazière nigériane a été aux prises avec l’insécurité, le vandalisme et les troubles communautaires, entraînant une baisse des investissements. Conjuguée à la nécessité du caractère sacré des contrats et d’un cadre financier correctement structuré, cette situation a fait chuter les investissements dans le secteur à environ cinq milliards USD par an, contre 22 milliards USD en 2012.
Le Nigeria présente une abondance de gaz naturel découvert inexploité (ainsi que d’importantes ressources gazières prospectives), maintenant annoncé comme un carburant de transition « propre » sur fond de changements énergétiques mondiaux. Le Nigeria devrait chercher à attirer des investissements importants pendant cette période de transition (qui a également vu les prix du pétrole brut repartir à la hausse) pour en tirer pleinement parti, conservant ainsi la valeur des ressources en pétrole brut et en gaz pour lui permettre de se positionner favorablement pour son agenda de transition énergétique (vers le zéro net). Une transition énergétique juste, paradigme qui a pris de l’ampleur lors de la COP 28 de décembre 2023, vise à ralentir le financement des développements dans le domaine des combustibles fossiles tout en soutenant les populations les plus vulnérables aux effets du changement climatique alors qu’elles facilitent la transition vers une énergie propre. Il ne s’agit pas simplement d’une mise au point de systèmes existants ; il s’agit d’une transformation fondamentale vers un avenir plus propre et plus durable. Ce changement est motivé par les préoccupations environnementales, l’évolution de l’équilibre des pouvoirs sur la scène mondiale et la prise de conscience que les pays producteurs d’énergie des pays du Sud (qui ne produisent qu’une fraction des émissions mondiales) devraient avoir la possibilité de « rattraper » industriellement les progrès technologiques demandés par les consommateurs. On estime que le pays a besoin d’environ 25 milliards USD d’investissements annuels au cours des dix prochaines années pour atteindre une production de pétrole brut de trois à quatre millions de barils par jour et trois milliards de pieds cubes par jour de production de gaz pour la consommation intérieure (une ambition). Le manque d’infrastructures disponibles, que ce soit à cause des infrastructures existantes compromises par l’âge ou le sabotage ou simplement un manque de nouveaux investissements, et la concurrence pour le capital au niveau régional, posent des défis qui devront être relevés pour y parvenir. Des infrastructures inadéquates entravent le développement et l’exploitation de projets pétroliers et gaziers en Afrique, augmentent les coûts des projets, retardent les délais et intensifient les risques opérationnels.
Le nouveau gouvernement a déclaré vouloir travailler avec les acteurs sectoriels et prendra des mesures urgentes pour résoudre les problèmes fiscaux, réglementaires, de sécurité et autres qui découragent les investissements et les opérations dans le secteur pétrolier du pays, ce qui est nécessaire de toute urgence pour aider à tirer sa production de pétrole et de gaz vers les niveaux ambitieux visés. Les mécanismes sont en place – la loi sur l’industrie pétrolière (Petroleum Industry Act, PIA) a largement contribué à déployer un cadre favorable à l’industrie, notamment en permettant à la Nigerian National Petroleum Corporation (NNPC) et à ses filiales de lever des capitaux sur leurs propres bilans, que ce soit par des cessions ou des partenariats de développement sur leurs blocs (y compris des contrats de services de gestion des risque, des accords de services financiers et techniques, et autres), des ventes à terme de brut, des levées de capitaux par emprunt ou par capitaux propres, etc. Néanmoins, il est nécessaire de mettre davantage l’accent sur la mise en œuvre de la PIA d’une manière qui rétablisse la confiance des investisseurs et stimule la production de pétrole et de gaz, en augmentant à terme les emplois, les bénéfices du pays et la prospérité. Alors que les négociants internationaux en matières premières ont augmenté leur activité et le financement de la production pétrolière au Nigeria, ils soutiennent rarement le développement d’actifs d’appréciation et de quasi-production. L’accès à des structures de capital innovantes pour ces projets à forte intensité de capital, impliquant une approche davantage axée sur le rapport risque/récompense, sera essentiel pour développer ces actifs, tout comme l’approfondissement des marchés de capitaux régionaux pour renforcer les capitaux disponibles auprès d’institutions telles que la Banque africaine d’import-export et les nouvelles initiatives prévues telles que la Banque africaine de l’énergie. En effet, de nouvelles solutions développées au niveau local seront nécessaires.
Alors que les compagnies pétrolières internationales se tournent vers les actifs offshore en haut mer et riches en gaz, les entreprises autochtones et les petits opérateurs entrent en scène pour combler ce vide. Cependant, l’accès au capital reste difficile. Des modèles de financement innovants, tels que le modèle de service de gestion des risques par l’entrepreneur, offrent une solution prometteuse. Ce modèle, qui implique que les entrepreneurs prennent des risques financiers et reçoivent un paiement sur la production, encourage le développement efficace des actifs tout en atténuant les risques pour les propriétaires et exploitants.
L’entrepreneur qui prend en charge ce risque est effectivement un cofinancier et un investisseur dans le développement du bloc pétrolier, assurant ainsi un service qui nécessiterait autrement un paiement immédiat, pour bénéficier du paiement de la production de pétrole et de gaz (c’est là que réside le risque de l’entrepreneur).
Le succès de ces modèles repose sur le soutien de toutes les parties prenantes, y compris les opérateurs, partenaires de coentreprise, financiers, autorités de réglementation et communautés locales. En harmonisant les incitations et en partageant les risques, ces partenariats peuvent stimuler le développement durable et améliorer les rendements des investisseurs. L’achèvement récent du projet d’infrastructure FSO ELI Akaso par Century Group (CG) (qui fait partie d’un système alternatif d’évacuation du pétrole brut (ACOES)), soutenu par le service de gestion des risques par l’entrepreneur, illustre le potentiel de collaboration pour générer de la valeur et promouvoir la croissance. L’ACOES est en cours de développement en raison de la nécessité d’améliorer la sécurité de la production et de l’approvisionnement à partir de blocs pétroliers dans l’est du delta du Niger en raison d’infractions et de pannes prolongées au Nembe Creek Trunkline (historiquement l’une des principales artères de transport de pétrole du Nigeria évacuant jusqu’à 150 000 bopd de brut du delta du Niger vers la côte atlantique pour l’exportation). Le modèle CG, « Fabriqué au Nigeria pour le Nigeria », peut aussi être déployé au niveau régional (et mondial), dans les pays où l’accès aux capitaux pour les développements pétroliers et gaziers est difficile. Les entrepreneurs évoluent dans un système de vases communicants, avec l’objectif d’optimiser la production de pétrole pour faire en sorte que leurs clients prospèrent de manière à ce qu’ils prospèrent à leur tour. Cependant, ils prennent rarement le risque financier et de production en appliquant un modèle « pay-as-you-go » (incluant souvent la mobilisation et d’autres frais importants de prépaiement), ce qui peut laisser les opérateurs à court de moyens lorsque les actifs sont sous-performants. Ils ne s’impliquent pas non plus dans les questions susceptibles d’affecter les relations entre partenaires de coentreprise.
Des investisseurs locaux et internationaux, dont San Leon Energy plc (coté au Royaume-Uni), World Carrier Corporation et GT Bank plc, ont investi massivement dans Energy Link Infrastructure Limited (ELI), sponsor de l’ACOES et propriétaire de FSO ELI Akaso et de l’infrastructure pipelinière pertinente, pour développer l’ACOES. Avec la pandémie de COVID-19 et le manque de production disponible en provenance des clients d’attache, ELI a dû chercher d’autres sources de capitaux pour s’assurer que le FSO ELI Akaso soit prêt à fonctionner. Sans l’implication de CG dans un modèle de service de gestion des risques par l’entrepreneur, le FSO ne serait pas prêt sur le plan opérationnel et serait désormais établi en tant que terminal pour l’exportation de pétrole. Alors que l’Akaso commence à recevoir des barils de divers producteurs de pétrole, l’entreprise devrait prospérer. En tant qu’investisseur par l’application de son modèle de service de gestion des risques par l’entrepreneur, CG devrait également être récompensé et félicité pour avoir soutenu l’activité à un moment où l’accès à des capitaux alternatifs s’avérait difficile. Avec le succès de cette approche, CG s’assure que le modèle modèle de service de gestion des risques par l’entrepreneur devrait être considéré par l’industrie comme une source de financement alternative, proactive et supplémentaire pour le développement de projets énergétiques.
Pour l’avenir, la concrétisation du développement durable dans le secteur pétrolier et gazier africain exige une action concertée de toutes les parties prenantes. Les investisseurs, les opérateurs et les entrepreneurs locaux jouent un rôle crucial dans la réduction des risques et l’élaboration d’un récit d’investissement attrayant pour les capitaux. En tirant parti de l’expertise locale et en favorisant les partenariats, ces parties prenantes peuvent exploiter le plein potentiel du secteur tout en atténuant les risques. Les cadres réglementaires jouent également un rôle central dans l’élaboration de l’écosystème d’investissement. Il est impératif que ces cadres accordent la priorité à la facilité de faire des affaires et au respect du caractère sacré des contrats pour inspirer confiance aux investisseurs. En outre, il est essentiel de s’attaquer aux goulets d’étranglement en matière d’investissement et de sorties pour maintenir l’intérêt des investisseurs et la dynamique de croissance. Répondant à la nécessité de résoudre une saga séculaire et de retarder la réalisation de la vente par ExxonMobil de sa participation de 40 % dans Mobil Producing Nigeria Unlimited (MPNU) pour 1,3 milliard de dollars à Seplat Nigeria Plc, le ministre d’État nigérian des Ressources pétrolières, Heineken Lokpobiri, a déclaré le 16 avril 2024 : « Maintenant que le monde entier fait campagne contre les investissements dans les combustibles fossiles, si nous finalisons cette transaction et que Seplat renforce ses investissements, Bonga North, qui repose sur cette résolution, entre en jeu, et le monde entier saura que le Nigeria est devenu une nouvelle destination d’investissement et c’est là l’objectif de ce gouvernement. »
Pour tracer la voie de l’industrie pétrolière et gazière en amont en Afrique, des innovations audacieuses et des partenariats stratégiques seront indispensables. En comprenant les risques et en saisissant les opportunités, le continent peut exploiter son potentiel énergétique pour stimuler la prospérité économique et le développement durable pour les générations à venir. Un plus grand nombre d’investisseurs, d’opérateurs et d’entrepreneurs locaux (à l’instar de Century Group) devront redoubler d’efforts pour réduire les risques et faire en sorte que le récit d’investissement devienne attrayant, articulé et compris. Les techniques traditionnelles de financement international devenant de plus en plus difficiles à appliquer pour les projets pétroliers et gaziers, le modèle de service de gestion des risques par l’entrepreneur est un outil supplémentaire précieux pour assurer le développement continu des projets énergétiques.
À propos de l’auteur :
Constantine ‘Labi Ogunbiyi a travaillé dans les secteurs de l’énergie (y compris les énergies renouvelables), la fintech et la logistique en tant qu’investisseur, conseiller stratégique et/ou directeur au sein de plusieurs conseils d’administration. Il a plus de vingt-cinq ans d’expérience dans les marchés financiers internationaux, le capital-investissement, l’acquisition, la finance structurée, le commerce et le financement de projets, ainsi que dans les partenariats publics et privés dans les secteurs de l’énergie, de la technologie et des infrastructures en Afrique. Labi a été un fondateur et directeur exécutif d’Afren plc. Responsable du développement commercial, de la stratégie et de la croissance, il a dirigé l’équipe de négociation d’Afren en matière d’acquisitions et de financements par fonds propres et par emprunt au Nigeria (plus de 1,7 milliard de dollars levés) entre 2005 et 2009. En 2009, il fonde First Hydrocarbon Nigeria Limited (FHN), une société d’exploration et de production de pétrole et de gaz en amont au Nigeria, dont il devient le CEO, jusqu’au rachat de l’entreprise en 2013.
Il dirige aujourd’hui son family office, Phoenix Generation Limited, une société de services-conseils en investissements directs et stratégiques. Il possède des qualifications juridiques des universités de Londres (King’s College), de Passau (Allemagne) et de l’Oxford Institute of Legal Practice.